Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Présentation

  • : Le blog de Jean-Loup
  • : Engagé, depuis plusieurs décennies dans une démarche visant à lutter contre tous les processus d'exclusion, de discrimination et de ségrégation socio-urbaine, je suis persuadé que si nous voulons « construire » une société reposant sur un véritable Vivre Ensemble. Il nous faut savoir, donner du sens au sens, prendre le temps de la concertation et faire des propositions en adéquation avec les besoins de nos concitoyens.
  • Contact

Recherche

16 juin 2017 5 16 /06 /juin /2017 06:18
Ces gens ne se connaissaient pas il y a quelques mois ; ils n’ont en commun que leur bonne volonté, leur espoir de renouveau et leur chef. Dimanche prochain, ils entreront à l’assemblée nationale et soutiendront le gouvernement Macron.

 

Je ne suis pas fâchée de voir toute cette affaire se terminer prochainement. Toute cette affaire ? Le paquet électoral 2017 comprenant l’élection présidentielle et ses répliques législatives.

Tout ceci nous occupe depuis des mois et des mois et s’est décliné en pas moins de deux tours de primaire de droite, deux tours de primaire de gauche, deux tours de présidentielle et pour l’instant un tour de législatives.

 

Si le début de la séquence fut « complètement dingue » nous faisant bondir de coup de théâtre en coup de tonnerre, avec la candidature Macron , la sélection Fillon, puis la renonciation Hollande, suivie de la sélection Hamon sur fond d’affaire Fillon, la suite fut assez rapidement pliée en faveur de Macron, malgré une remontée de Mélenchon en dernière ligne droite et une chute fracassante de Le Pen juste devant l’obstacle.

CE QUI DEVAIT ARRIVER ARRIVA

Au final, on attendait Macron – Le Pen et on a eu Macron – Le Pen. Puis on attendait Macron et on a eu Macron. Depuis la présidentielle, l’éventualité d’une majorité absolue pour La République en Marche (LREM) s’est renforcée tous les jours, et le parti du Président aura bel et bien sa majorité pour gouverner, une majorité non seulement absolue mais pour ainsi dire insolite et insolente, surtout pour un parti qui existe depuis un an seulement.

 

Le premier tour des élections législatives 2017 qui s’est joué dimanche 11 juin dernier a tout d’un livre des records. Les partis traditionnels se retrouvent soit laminés comme jamais (PS) soit profondément amoindris (LR). Les partis extrêmes qui ont côtoyé le vainqueur à quelques points au moment de la présidentielle reviennent à leur étiage habituel et leur impact législatif sera des plus modestes (FN et FI).

HÉCATOMBE À DROITE COMME À GAUCHE

On ne compte plus les personnalités politiques de droite ou de gauche séchement battues dès  le premier tour ou en ballottage très défavorable pour le second. Certains l’ont pris avec humour (ou plus exactement ont eu le prix de l’humour politique) d’autres moins, mais de toute façon ne soyons pas trop tristes pour eux, leurs conditions de chômage ou de retraite ne seront pas franchement difficiles.

Finalement, la France a été submergée par deux raz-de-marée : dans les urnes, celui de La République en Marche qui promet d’envahir l’Assemblée Nationale dès dimanche prochain ; et hors des urnes, celui de l’abstention qui relativise considérablement la macron-mania qui s’est emparée du pays en apparence. Ainsi, les 32 % des suffrages exprimés réunis par LREM et le Modem deviennent 16 % un fois ramenés à l’ensemble des inscrits. Même opération pour tous les autres partis, naturellement.

TAUX D’ABSTENTION RECORD

Plus haut niveau jamais enregistré pour une telle élection depuis le début de la Ve République, l’abstention a en effet atteint 51,30% des 47,6 millions d’électeurs inscrits.

Il est toujours difficile de faire parler les abstentionnistes, même si les partis et les candidats les moins bien placés pour le second tour ont tendance à y voir une réserve de voix qui corrobore en tout point leur analyse de la situation politique de la France. C’est d’ailleurs un thème qui occupe généralement la plus grande partie des soirées électorales, chaque politicien affirmant à la télévision qu’il a entendu les électeurs, qu’il a entendu les abstentionnistes et qu’à partir de maintenant, on va voir ce qu’on va voir.

Dans le cas présent, plus d’un électeur sur deux n’a pas jugé utile d’apporter son soutien formel à Emmanuel Macron, ni à aucun autre candidat. Soit qu’il n’en voulait aucun, soit qu’il s’en fichait complètement, ou soit qu’il ait jugé inutile de se déplacer compte-tenu du fait qu’après la présidentielle, l’affaire semblait pliée en faveur de LREM, ce qui ne le dérangeait pas plus que ça.

LA FIN D’UNE LONGUE SÉQUENCE POLITIQUE

C’est cette dernière interprétation que le Premier ministre a retenue au soir du premier tour. Dans la forte abstention de dimanche, il voit la conséquence d’un processus électoral certainement un peu long et lassant doublé de la démobilisation d’une partie de l’électorat pour lequel « l’élection du Président de la République a clos le débat ».

Je dois dire que j’ai trouvé l’allocution dEdouard Philippe très réussie. Dans un langage clair et posé, bien loin des expressions contournées d’un Hollande, il a fait les remerciements d’usage, puis les concessions d’usage à l’abstention et aux partis adverses, pour ensuite revendiquer la victoire, rappeler les politiques mises en route par le gouvernement (moralisation de la vie politique, adaptation du droit aux nouvelles exigences de notre sécurité) et confirmer qu’il avait présenté un calendrier aux partenaires sociaux pour moderniser le droit du travail. Il a conclu sur les « nouveaux visages » qui formeront la nouvelle Assemblée :

 

Malgré l’abstention, le message des Français est sans ambiguïté : pour la troisième fois consécutive, vous avez été des millions à confirmer votre attachement au projet de renouvellement, de rassemblement et de reconquête du Président de la République.

Dimanche prochain, l’Assemblée nationale incarnera le nouveau visage de notre République, une République forte, une République rassemblée, une République attentive aux besoins de chacun, la République française.


Tout ceci est fort bien dit. Tout ceci est très digne et donne une haute idée de l’État et du gouvernement. Reste à savoir ce que l’on doit comprendre exactement sous les termes très policés employés.

CES INCONNUS QUI DÉBOULERONT À L’ASSEMBLÉE

Aujourd’hui, je m’interroge sur les « nouveaux visages ». Je m’interroge sur tous ces députés connus (entre autres :  a Asnières sur Seine nen déplaise a ceux qui font semblant le candidat LREM est connu et même bien connu comme Strausskanien) ou inconnus qui vont débouler en nombre à l’Assemblée. À écouter certains témoignages, il y a de quoi être inquiet.

 

On comprend qu’Emmanuel Macron a réussi à faire surgir et à incarner un immense désir de renouveau, qu’il a infusé dans ses discours de campagne calibrés comme une sorte d’illusion lyrique enivrante qui lui a permis de rassembler autour de lui des personnes de tous horizons politiques, géographiques et sociaux.

 

Des personnes lassées des vieux partis qui se disputent le pouvoir depuis 40 ans sans résultats tangibles, des personnes qui ont « envie de faire quelque chose », qui ont envie que « ça bouge ». Des personnes qui pour beaucoup n’ont jamais fait de politique et qui maintenant, grâce à lui ont envie de « faire de la politique autrement ».

Ce désir de renouveau, ce désir de printemps éternel, s’il ne représente que 32 % des votants et 16 % des inscrits, c’est bien dans toute la France qu’on le retrouve, dans la France des villes et la France des champs, à l’est comme à l’ouest, dans les bastions de gauche comme dans les bastions de droite.

QUI SERONT LES NOUVEAUX ?

Pas très élevé en nombre de voix – LREM et le modem auraient obtenu le score le plus faible à un premier tour de législatives pour un parti présidentiel depuis 1981 – mais premier partout ou presque, d’où le raz-de-marée à l’Assemblée.

Écoutons par exemple Marie Sara, ex-torera et candidate LREM en ballottage favorable face à Gilbert Collard (FN) dans la 2eme du Gard. Sollicitée directement par Emmanuel Macron pour se présenter, elle a accepté avec joie car elle brûle de pouvoir défendre cette terre, la Camargue, qui lui a tant donné.

Interrogée sur la notion de « politique autrement », elle répond qu’elle veut se mettre au service des gens de sa région parce qu’elle les aime, et pour ce qui est de la mesure emblématique d’Emmanuel Macron, elle souligne l’immense espoir qui s’est levé avec lui et les dossiers d’agriculture rurale et de biodiversité de la Camargue.

Elle n’est ni à gauche ni à droite, elle est En Marche ! pour la Camargue et semble ignorer totalement que si un député est désigné localement, sa mission consiste à représenter la France entière et à voter les lois pour toute la nation.

 

Écoutons maintenant Fabienne Colboc, candidate également en ballottage favorable, dans la 4eme Indre et Loire. Entendons-nous bien : il est évidemment très intimidant de passer à la télévision pour la première fois, surtout quand on est complètement novice en politique.

Mais on s’attend tout de même à ce que les candidats aient un petit peu réfléchi à leurs thèmes de campagne, on s’attend à ce qu’ils aient préparé leurs interventions. Ce ne fut manifestement pas le cas de Fabienne Colboc qui bafouille beaucoup, comme pour chercher au fond de sa mémoire les éléments de langage du programme Macron.Bouquet final à propos de l’objectif de faire baisser la part du nucléaire dans l’électricité à 50 % à l’horizon 2025 comme le prévoit la loi de transition énergétique de Ségolène Royal, reprise par Macron et Hulot:

Fabienne Colboc : Je pense que le plan peut être tenu à partir du moment où il y a de l’investissement qui peut être donné pour que cette nouvelle énergie (les renouvelables) soit mise en place.
 

Question : Mais il vient d’où, l’argent ?
Fabienne Colboc : Ben, c’est de l’investissement …

 

Je sais aussi que parmi les plus de 400 candidats LREM qui vont entrer à l’Assemblée, beaucoup sont très expérimentés, ou disposent d’expériences préalables, qui les préparent peut-être mieux à tenir rapidement leur rôle de député. Je pense au mathématicien Cédric Villani, dont le soutien antérieur à Anne Hidalgo laisse cependant perplexe, ou à l’ancien patron du raid par exemple mais et peut être surtout à tous ces élus ayant ou ayant eu des mandats sans compter les conseillers et assistants parlementaires.

UNE MAJORITÉ NOVICE ET HÉTÉROCLITE

On voit cependant à travers ces exemples, qui ne sont pas isolés, que la majorité qui s’annonce sera très novice et très hétéroclite. Macron lui-même s’inquiétait récemment du raz-de-marée qui pourrait rendre sa majorité difficile à tenir.

Ces gens ne se connaissaient pas il y a quelques mois ; ils n’ont en commun que leur bonne volonté, leur espoir de renouveau et leur chef ; ils mettent un point d’honneur à n’être ni de gauche ni de droite, ou alors soit de gauche soit de droite ; de son côté, Emmanuel Macron n’a dévoilé son programme que tardivement et au compte-gouttes.

À partir de là, deux solutions : soit des divergences ne manqueront pas d’apparaître à mesure que les textes seront connus dans tous leurs détails – et ce sera la pagaille ; soit au contraire, compte-tenu de leur inexpérience, Macron arrivera à tenir ses députés et disposera pour cinq ans d’une majorité docile et d’un pouvoir colossal.

Dans cette dernière configuration, il n’y a plus qu’à espérer qu’il saura en faire un bon et bel usage dans le sens de plus de liberté et plus de prospérité pour toute la France, loin des piétinements timides qui caractérisent généralement les socio-démocrates tels que lui.

Partager cet article
Repost0
13 juin 2017 2 13 /06 /juin /2017 14:19

Quand… On s’interroge… : JM Blanquer va-t-il réussir à dompter le mammouth ?

C’est un bien curieux combat qui se livre dans les coulisses du « mammouth » de la rue de Grenelle, et, à n’en pas douter, il méritera de nombreux décryptages pour ceux qui ne sont pas férus de questions éducatives.

 

Le ministre Jean Michel Blanquer a annoncé la semaine dernière ses premières mesures. Elles visent toutes à desserrer l’étau du mammouth sur un système éducatif à la dérive. Les premières mobilisations apparaissent face à des décisions pourtant timides mais salutaires. Le combat d’un ministre contre une machine infernale commence.

C’est un bien curieux combat qui se livre dans les coulisses du « mammouth » de la rue de Grenelle, et, à n’en pas douter, il méritera de nombreux décryptages pour ceux qui ne sont pas férus de questions éducatives. Jean-Michel Blanquer, qui a déjà expliqué qu’il ne proposerait aucune loi qui porterait son nom, vient pourtant de s’attirer les premières foudres des traditionnels idéologues de l’immobilisme éducatif. Lentement mais sûrement, les premières salves contre sa méthode et sa vision ont été tirées par ceux qui espèrent garder le contrôle d’un système en décomposition.

LA DÉCOMPOSITION ÉDUCATIVE EN FRANCE

Que l’école soit dans un état de dégradation avancée n’est un mystère pour personne. Les études triennales PISA lont suffisamment montré et documenté. Toutes les tares de notre système éducatif y sont décortiquées factuellement : inégalités sociales, décrochages scolaires puissants, difficulté à intégrer les jeunes issus de l’immigration, résultats moyens par ailleurs.

Face à cette lente décomposition, les remèdes sont connus. Seule une dénationalisation du système, une autonomie des établissement  et une innovation pédagogique profonde permettront de rétablir la situation, comme d’autres pays sont parvenus à le faire.

LES RENTIERS DE LA CENTRALISATION SONT INQUIETS

Bien entendu, tous ceux qui prospèrent sur une centralisation suicidaire de notre système éducatif, et sur sa déresponsabilisation principielle, sont horripilés par toutes ces solutions. Au premier rang d’entre eux, on placera les syndicats d’enseignants et leur chambre d’écho, la FCPE, régulièrement composée et représentée par les enseignants, mais sous leur étiquette « parents d’élèves ».

Tout ce petit monde déteste l’idée que les chefs d’établissement puissent développer des projets scolaires locaux et autonomes, qui échapperaient aux arrangements de couloir obtenus par la bureaucratie syndicale rue de Grenelle. Et tant pis si ce sont les élèves les plus faibles qui pâtissent de cette redoutable mais impitoyable prise de pouvoir. Dans tous les cas, il faut dénoncer la menace que ce projet fait peser sur la liberté de l’enseignant : entendez qu’il ne faudrait surtout pas que la Nation commence à fixer des obligations de résultats à ces fonctionnaires sous statut qui se comportent comme des professions libérales.

LA STRATÉGIE DE PETITS PAS MENÉES PAR JEAN-MICHEL BLANQUER

Dans ce contexte tendu, JM Blanquer fait le choix davancer à petit pas et par une sorte de guérilla face aux troupes constituées des rentiers qui verrouillent la communauté éducative. Pas de loi, donc, mais des mesures de « gestion » : possibilité reconnue aux collectivités de déroger aux rythmes scolaires dans les écoles primaires, élargissement prudent des possibilités de redoublement au collège, introduction de soutien scolaire pendant les vacances financé par des heures supplémentaires.

 

On voit bien la manœuvre : on abandonne les grandes mesures nationales, et on laisse le terrain s’organiser en lui donnant des espaces d’autonomie. Le pari qui est fait est de voir progressivement un autre modèle s’installer, décentralisé et pluriel, sans possibilité de retour.

La méthode est peu flamboyante, mais elle a un immense mérite : elle complique singulièrement la tâche de blocage à laquelle sont prêts tous ceux qui dénoncent cette « territorialisation de l’éducation », selon une expression qui en dit long sur les appétits de pouvoir des Parisiens. Allez vous mettre en grève contre un décret qui vous permet, si vous le souhaitez, de faire usage de vos libertés !

LES PATTES DU MAMMOUTH BIENTÔT CASSÉES ?

Avec cette méthode, il n’est pas impossible que Jean-Michel Blanquer parvienne à casser les pattes du mammouth. Ce serait une annonce réjouissante, tant la médiocratie de la rue de Grenelle a poussé notre école publique et laïque à la désespérance.

Partager cet article
Repost0
12 juin 2017 1 12 /06 /juin /2017 15:00
Les cabinets ministériels sont devenus, au fil du temps, sous la Vème République, de véritables shadow cabinets, au sens propre du terme. Autrement dit, derrière les apparences respectables et légitimes offertes par les ministres, les décisions techniques sont très souvent prises par les directeurs de cabinet ou les conseillers qui tendent à se substituer aux administrations et aux ministres pour réglementer ou légiférer.

Ce gouvernement de l’ombre obéit d’ailleurs à un formalisme relatif, avec ses réunions interministérielles et son réseau de conseillers qui fonctionnent souvent avec une relative coordination.

En nommant des ministres sans expérience ou issus de la société civile, Emmanuel Macron a bien senti le danger : face à des personnalités démunies devant l’extrême technicité des dossiers, la technostructure se régale et tend à prendre le pouvoir. Pour répondre au danger, les ministres ont souvent la tentation de recruter des cabinets ministériels pléthoriques, qui ne font qu’aggraver le mal, en coupant définitivement le ministre de la réalité concrète des services dont il a la charge.

Les premiers jours du quinquennat méritent ici d’être regardés de près, tant ils illustrent la croisée des chemins où se trouve le projet de « renouvellement jusqu’au bout » annoncé par Emmanuel Macron.

MACRON TENTE D’ÉVITER LES DÉRIVES PAR UN DÉCRET PRÉSIDENTIEL INÉDIT

On saluera l’innovation d’Emmanuel Macron pour éviter les dérives des shadow cabinets. Il s’est fendu aujourd’hui d’un décret présidentiel pour encadrer le fonctionnement de ceux-ci. C’est la première fois qu’un gouvernement doit obéir à un décret présidentiel sur le sujet. Traditionnellement, les règles sont fixées par une circulaire du Premier ministre.

Le décret Macron limite à dix conseillers le volume d’un cabinet ministériel, et précise les règles de transparence inédites qui s’appliquent à l’exercice :

Cet arrêté, publié au Journal officiel, précise les titres des personnes concernées et l’emploi auquel elles sont appelées au sein du cabinet. Nul ne peut exercer des tâches au sein d’un cabinet ministériel s’il ne figure sur cet arrêté.

On suivra dans la durée l’application de ce texte. Une spécialité des gouvernements consiste en effet à sombrer rapidement dans une inflation des conseillers et dans le recrutement de « clandestins » qui, officiellement, appartiennent aux services ordinaires mais sont en réalité affectés auprès du ministre. Il faudra voir si, dans quelques mois, face à la charge de travail, le gouvernement Philippe ne retombe pas dans les travers habituels des équipes précédentes.

UNE CURIEUSE CARTOGRAPHIE DES DIRECTEURS DE CABINET

Face à ces tentations, les cabinets risquent de ne pas résister longtemps. Ce qu’on sait d’eux aujourd’hui est déjà très significatif d’une tendance contre laquelle le Premier ministre devra lutter, puisque le décret Macron confie à celui-ci le soin d’en assurer le respect. Ici, la situation ne manque pas d’être croustillante.

À Matignon, Édouard Philippe a choisi un directeur de cabinet qui appartient à la même promotion ENA que lui, et qui, en 2002, fut conseiller technique de Raffarin à Matignon. À Bercy, Bruno Le Maire a également choisi un énarque, Emmanuel Moulin, pour diriger son cabinet. L’intéressé fut également en cabinet sous Sarkozy, dont il fut d’ailleurs le conseiller économique. Gérald Darmanin a pour sa part retenu Jérôme Fournel, en son temps conseiller budgétaire de Luc Ferry alors ministre de l’Éducation. Nicolas Hulot a quant à lui retenu Michèle Pappalardo, conseillère à la Cour des Comptes… et ancienne des cabinets Barnier et Bachelot.

On le voit, les principaux cabinets du gouvernement sont à ce stade tenus par des conseillers de droite. On comprend que, pour le Président, il existe un enjeu de fait à recentrer l’action des ministres au sein de leur département ministériel. Il ne faudrait pas que les cabinets reconstituent une ligue de droit dissoute et biaise les options politiques du gouvernement.

REPENSER LE STATUT DES MEMBRES DES CABINETS MINISTÉRIELS

Sur le fond, il reste un tabou essentiel autour des cabinets ministériels : ils sont les principaux vecteurs d’une regrettable politisation de la fonction publique. Jusqu’ici, le passage en cabinet s’est en effet imposé comme le préalable à toute nomination comme directeur d’administration centrale (ceux-là même que Macron veut soumettre à un salutaire mais encore timide spoil system).

Or, l’un des vices de l’État, et l’une des raisons de sa profonde obsolescence, tient à l’esprit de Cour qui accompagne la politisation de la haute fonction publique, à cause de laquelle des personnalités parfois médiocres ont accaparé les postes grâce à leur servilité au pouvoir. C’est ce mal-là qu’il faut combattre, et ce n’est pas une mince affaire.

Pour y parvenir, le président de la République aurait pu prendre des mesures plus novatrices. Par exemple, le bon sens voudrait qu’un fonctionnaire soit obligé de se mettre en disponibilité lorsqu’il rejoint un cabinet ministériel. Il devrait être clair, dès son arrivée, qu’il lui sera interdit de tenir le moindre poste de directeur dans l’administration qu’il a dirigée auprès du ministre. Ces mesures techniques permettraient d’enrayer la politisation des administrations.

On n’en est pas là. Mais déjà, si Emmanuel Macron parvient à mettre effectivement en oeuvre son décret, on pourra s’en féliciter. Même si ce décret est un début, et non une fin.

Partager cet article
Repost0
12 juin 2017 1 12 /06 /juin /2017 12:51

Le 26 novembre 2014, Dominique Reynié, Camille Bedin, François Garçon et Julien Gonzalez débattaient avec Jean-Michel Blanquer sur son nouveau livre : L’école de la vie.

 

Dominique Reynié commence par rappeler l’impossibilité de séparer le parcours de Jean-Michel Blanquer de l’école. Professeur de droit public, ancien recteur de l’académie de Guyane et de l’académie de Créteil, il est actuellement directeur général du groupe ESSEC.

Ainsi son ouvrage a-t-il à la fois un aspect documenté et un caractère éminemment personnel. Cela permettant un éclairage sur des expériences très diverses dans le domaine de l’éducation.

CONTRE LE FATALISME ET LE PESSIMISME

Allant contre le sentiment de fatalité et le pessimisme qui entoure l’école, l’auteur, notamment à travers la polysémie du titre de son ouvrage, met en valeur la vitalité qui doit émaner du lieu d’apprentissage. En effet, même si le système est complexe, il est possible de faire preuve d’optimisme.

Élément essentiel car seule l’éducation conduit à la liberté. Comme le rappelle Kant : l’homme ne peut pas être homme s’il n’est pas entouré. L’enseignement constitue donc un thème central, et bien que tous s’accordent pour le dire, ni les médias, ni les responsables politiques ne parviennent à en discuter de manière apaisée et sans faire preuve de clanisme.

ÉLEVER LE DÉBAT PUBLIC SUR L’ÉCOLE

Jean-Michel Blanquer voit là la conséquence de nombreux travers du débat politique actuel. Effectivement, l’exigence de simplicité, voire de simplisme, et d’immédiateté est incompatible avec toute politique raisonnée de l’éducation.

Aussi face à la superficialité des querelles et des clivages désuets entre « traditionalistes » et « progressistes », la mise en oeuvre d’expériences et d’initiatives dans le domaine de l’éducation permet-elle de lutter contre l’immobilisme.

Mais alors, comment identifier précisément les défauts de notre système éducatif ? En regardant ailleurs, répondrait à cette question François Garçon, ravi de l’obsession de « comparatisme » qui anime l’auteur de L’École de la vie. Il est vrai que, éclairé par son expérience de terrain, Jean-Michel Blanquer n’hésite pas à critiquer et proposer.

LE PROBLÈME DU SYNDICALISME

Ainsi évoque-t-il les différents archaïsmes des syndicats enseignants, organisations éclatées, superficielles, souvent politisées et surtout dépourvues plus que jamais d’idéaux. C’est bien ce corset de règles anachroniques et de contraintes qui handicape l’Éducation française.

L’école a besoin de plus de liberté dans l’initiative et dans la prise de responsabilité. En soulevant cette chape de plomb, en donnant plus dautonomie aux établissements, en modifiant les modalités d’évolution de carrière des enseignants, nous parviendrons à redonner de la vie à notre système éducatif.

Camille Bedin soulève alors un paradoxe : pourquoi l’enthousiasme et le dynamisme qui existent parfois au niveau local ne se traduisent-ils pas en des débats plus riches et des résultats sur le plan national ? La situation de l’éducation en France est très hétérogène souligne Jean-Michel Blanquer.

L’HÉTÉROGÉNÉITÉ FRANÇAISE EN MATIÈRE D’ÉDUCATION

Ainsi existent-ils des contrastes entre régions rurales qui se portent bien, comme la Bretagne, et d’autres en plus grande difficulté telles que la Normandie. De manière similaire, les banlieues ne peuvent pas être perçues comme un tout uniforme, la Seine-Saint-Denis possède par un exemple un taux d’accès à l’enseignement supérieur plus élevé que la moyenne nationale.

Il n’existe donc pas de solution simple à cette problématique. Cependant, l’auteur distingue des leviers qui permettraient d’améliorer le système. Tout d’abord, il est nécessaire de consolider l’école primaire dont les résultats ont été positifs lors de la dernière décennie.

Mais surtout, il est indispensable de mettre en oeuvre une véritable révolution du collège en accentuant la personnalisation des parcours scolaires, en créant des groupes de compétences, en développant les liens entre les disciplines, en valorisant les multiples formes d’excellence qui permettent de compenser les faiblesses en misant sur les qualités de chacun.

FAIRE REVENIR LA VIE À L’ÉCOLE

Aussi pourquoi ne pas faire revivre les rituels qui ponctuaient l’école de la République ? Effectivement, les césures dans l’enseignement français sont multiples et brutales : passage de la maternelle à l’élémentaire, de l’élémentaire au collège, du collège au lycée, du lycée à l’enseignement supérieur. S’il est vrai qu’il est nécessaire de les atténuer, pourquoi ne pas les assumer ? Voilà également une manière de faire revenir la vie à l’école.

Puis, François Garçon s’interroge sur les entraves conséquentes à la structure compartimentée de l’enseignement français. Comment constituer une équipe cohérente lorsque agrégés méprisent capétiens et lorsque capétiens snobent contractuels ? Et surtout, comment libérer les chefs d’établissements de ces nombreuses entraves ?

LA CARRIÈRE DES ENSEIGNANTS

Tout d’abord, Jean-Michel Blanquer propose de donner une dimension plus progressive aux carrières des enseignants, dont le rythme est aujourd’hui marqué par les effets brutaux et parfois incohérents des concours.

Pour cela, il suggère de donner plus de légitimité et de marge de manœuvre aux chefs d’établissements, dont les compétences avérées permettront de constituer des équipes harmonieuses. Avancerions-nous ainsi vers une caporalisation des établissements ?

Certainement pas si plus de responsabilités sont confiées aux professeurs, et en ce sens, l’expérience de la création du poste de préfet des études5 dans certains établissements donne des résultats encourageants.

Par ailleurs, l’Europe a elle aussi sa place dans ce nouveau débat, non seulement en tant qu’objet d’étude mais aussi comme élément fondamental de la vie extra-scolaire des élèves. En effet, souligne Jean-Michel Blanquer, l’école de la vie ne peut pas être sur la défensive, elle doit agir, irradier, bénéficier de son environnement et créer des interactions fécondes avec les entreprises et les familles.

UN MONDE QUI CHANGE

Elle ne peut pas être une bulle isolée au milieu de la société. Car comme le précise Julien Gonzalez, il existe de nombreuses incohérences dans l’Éducation. Ainsi, alors que le Master tend à devenir la norme, il n’y a plus assez de postes de cadre disponibles, tandis que certains emplois exigeant une moindre qualification demeurent non pourvus.

C’est pourquoi dans ce monde qui change, dans lequel il est impossible de ne plus être diplômé sans s’exposer à des difficultés professionnelles, l’école doit permettre à tous d’avoir une qualification d’actualité, un outil réel pour l’avenir.

Pour ce, seuls un continuum, la multiplication des passerelles entre les formations, un décloisonnement de l’enseignement dans l’espace et le temps permettront de former une jeunesse adaptée aux défis de son siècle.

L’école doit donc tenir le coup conclut Dominique Reynié, car comme l’écrit Jean-Michel Blanquer : « Le contraire de l’éducation, c’est la démagogie ».

Partager cet article
Repost0
12 juin 2017 1 12 /06 /juin /2017 10:38

La CSG est un impôt simple qu’Emmanuel Macron s’apprête à compliquer.

Ni droite, ni gauche En marche fiscale souhaite augmenter la CSG de 1,7 point. Pour se démarquer d’En marche, François Baroin, désormais représentant des Républicains, critique cette mesure.

Les contribuables atterrés constatent que l’attelage « charrue devant les bœufs » est le système préféré des politiciens français qui – faute d’idées – tentent ainsi de galvaniser un électorat passablement décapé par l’impôt.

Je dis « charrue devant les bœufs » car autant nous aimons discuter de façon tatillonne des impôts, autant nous n’aimons pas discuter de ce qu’ils financent, à savoir les dépenses publiques.

TOUJOURS PLUS D’IMPÔTS, AVANT DE DISCUTER DE LA DIMINUTION DES DÉPENSES

Dans un pays où 57% de l’activité est sous l’emprise de l’État, il semblerait plus judicieux de discuter de la diminution des dépenses plutôt que de savoir comment organiser les recettes (qui de toute façon sont insuffisantes et c’est pour cela qu’il y a en plus un déficit).

Pour une fois, dans cette chronique, moi aussi, je vais pratiquer l’attelage inversé et ne pas vous parler de capitalisme de copinage, de subventions-taxations-perversions, des gâchis d’argent public, d’investissements… mais d’impôt.

En préambule : je suis incroyante. Je ne souscris pas au miracle de Saint Fisc.

Je vous rappelle le principe du miracle de Saint Fisc :

 

L’argent privé corrompt, l’argent public soulage. C’est pourtant rigoureusement le même, mais qui s’est transformé en se bonifiant par le miracle de Saint Fisc.

L’argent public est propre car il est collecté par des fonctionnaires au-dessus de tout soupçon et réparti pour le « bien public » par des politiciens qui ne veulent que le bonheur de leurs électeurs, c’est-à-dire le peuple.

Si comme moi, vous êtes mécréant, vous pouvez choisir. Soit vous estimez que l’impôt n’est qu’une forme de vol légal et vous vous y opposez. Vous acceptez la prison. Ou bien vous achetez une île déserte ; vous commettez des actes terroristes sur le continent pour réclamer votre indépendance ; une fois cette indépendance obtenue, vous vivez selon vos principes en repoussant fermement un éventuel abordage des croyants de Saint Fisc sur vos côtes.

Soit vous estimez que limpôt nest quune forme de vol mais que ce vol est – comme la mort – inéluctable car vous souhaitez conserver des rapports dits sociaux avec les autres bipèdes.

LA CSG, CE MERVEILLEUX IMPÔT QUI RAPPORTE

Dans ce cas, la CSG qui s’appelle « Contribution Sociale Généralisée » est un merveilleux impôt qui mérite bien son adjectif. Cet impôt rapporte 20 Mds€ de plus que l’impôt sur le revenu, lequel n’est payé que par 45% des contribuables et atteint rapidement des taux confiscatoires de 45%.

Les trois merveilleuses qualités de la CSG :

  • Universelle, elle s’applique à tous et à tout (salaires, primes, indemnités, pensions, allocations de chômage, revenus fonciers, revenus mobiliers…).
  • Simple, pas de seuil, pas de déduction, pas de dérogation, pas de passe-droit.
  • Taux unique de 7,5%.

Certes, on peut lui trouver un défaut : prélevé à la source, cet impôt devient indolore. C’est comme si un pickpocket vous faisait les poches, à vous et à tous les occupants d’un wagon. Pas de stress, pas de douleur et le partage d’un mauvais traitement le rend plus supportable. Avec l’impôt sur le revenu, un racketteur vous met un rasoir sous la gorge pour vous demander votre portefeuille tandis que les autres occupants du wagon – à qui on ne demande rien – font mine d’être très absorbés par leur journal.

L’idéal serait une CSG déclarative : chacun constaterait ainsi l’effort de l’impôt et que rien n’est gratuit. Mais arrêtons de rêver.

EN MARCHE VERS LA COMPLICATION

Emmanuel Macron souhaiterait à nouveau tout compliquer et pratiquer 9,2% pour les revenus d’activité, 9,9% pour les revenus de placement et 8,3% pour les revenus de retraite.

Parallèlement, il offre quelques gâteries aux salariés sous forme d’allègement de cotisations sociales. Si bien que le résultat serait plutôt positif pour cette catégorie de contribuables. Certes, pas pour ceux qui ont des revenus de leur épargne, mais ce sont des « riches », donc minoritaires et les politiciens de droite comme de gauche recherchent avant tout des voix. Et évidemment, pas pour les retraités… Ça tombe bien, justement, les jeunes votent davantage pour En Marche que les vieux, plus statiques.

De ce fait, la droite se pose en défenseur des retraités plumés. Voilà un sujet de campagne capable de conduire l’électorat vers le bulletin électoral souhaité par le promoteur de chacune des variantes de la taxation.

En attendant, cela permet de ne surtout pas parler du déficit, du rôle de l’État, des économies budgétaires, des retraites, du monopole de l’assurance-maladie, des gabegies d’EDF, d’Areva, de la SNCF, des portiques écotaxes, des irresponsables-non-coupables…

Mais puisqu’il faut parler impôt, Camarade-contribuable, moi je dis : vive la CSG ! Fusionnons-la avec l’impôt sur le revenu, adoptons un taux unique et simplifions. Par pitié, surtout, simplifions.

Certains terminent de remplir leur déclaration de revenu. Vous y avez probablement gâché quelques heures de vos loisirs. En faisant votre sacrifice à Saint Fisc, pensez à mettre aussi un cierge à Sainte Rita, patronne des causes perdues.

Partager cet article
Repost0
10 juin 2017 6 10 /06 /juin /2017 20:44
La « Révolution » promise par le président de la République a peu de chances d’être pérenne si elle n’entraîne par la majorité du peuple dans son sillage.

 

Nul ne peut nier que la recomposition politique ne soit « en marche ». Le processus ne fait certes que commencer mais déjà les analystes, conscients de l’ampleur des changements à l’œuvre, osent un parallèle avec 1958. Toutefois, la comparaison avec l’émergence de la République des républicains dans les années 1880 permet sans doute mieux d’en mesurer l’importance et peut-être d’en apercevoir les limites.

RECOMPOSITION POLITIQUE

Au moment du vote des lois constitutionnelles en 1875, un jeune député venu de la gauche, Léon Gambetta, a saisi la nécessité d’une recomposition politique. Il a compris en effet qu’une entente est possible entre les républicains, pourvu qu’ils modèrent certains de leurs principes, et une fraction de la droite d’autant que celle-ci est profondément divisée entre orléanistes, légitimistes et bonapartistes. Gambetta entend ainsi attirer du côté de la République une partie de la droite orléaniste, lasse des atermoiements des monarchistes et sans grande sympathie pour leur politique d’ordre moral.

Opération réussie : la droite se scinde, des orléanistes adoptent la forme républicaine du régime et rallient le camp républicain soudé, à partir de la crise du 16 mai 1877, autour des valeurs qui vont le définir pour longtemps, la laïcité et le parlementarisme. La question sociale est oubliée et d’ailleurs selon Gambetta « il n’y a pas de question sociale », la question nationale aussi : « la Revanche, pensons-y toujours, n’en parlons jamais » disait le même Gambetta.

Le régime, socialement conservateur, saura se défendre contre l’extrême gauche socialiste et, culturellement libéral, contre la droite cléricale et nationaliste. Le socle politique et idéologique de la République est appelé à durer, la droite monarchiste est marginalisée, l’extrême gauche se rallie ou pèse peu.

MACRON HÉRITIER OU FOSSOYEUR DU SOCIALISME ?

En 2017, à l’âge de Gambetta dans les années 1870, Emmanuel Macron, héritier – ou fossoyeur ? – d’un socialisme en ruines a réussi à regrouper derrière lui et son parti la gauche réformatrice et une partie de la droite libérale autour de la construction européenne et des valeurs du libéralisme.

Macron, comme Gambetta avant lui, a compris la nécessité d’acter la disparition de certains clivages d’un autre âge. Du coup, comme dans les années 1880, la conjonction des centres est de nouveau d’actualité et la République en marche, le parti du Président, pourrait bien jouer le rôle de « parti pivot » (S. Berstein) jadis dévolu au parti radical et radical socialiste.

Au passage la Cinquième République, après six décennies de bipolarisation gauche/droite, fait une fois encore la preuve de sa faculté d’adaptation. Mais l’orléanisme étant au pouvoir la question sociale est oubliée comme sous la Troisième République, abandonnée aux extrêmes, la question identitaire aussi.

La synthèse politique macronienne n’est donc pas sans rappeler la synthèse gambettiste et comme le souligne Laurent Bigorgne, « Emmanuel Macron ne doit pas son élection à un accident » . Aura-t-elle pour autant la même postérité que celle de son illustre aîné ?

RECOMPOSITION SOCIOLOGIQUE

Gambetta et les républicains opportunistes en fondant la République ont, pour reprendre la thèse de F FURET, terminé la Révolution. Celle-ci, selon la célèbre formule de Prévost-Paradol avait certes « fondé une société mais elle cherchait encore sa forme de gouvernement ».

Or, la grande habileté des républicains c’est non seulement d’avoir bâti un modèle politique acceptable par les Français en mettant de côté certains de leurs dogmes, ce qui leur a valu leur surnom d’opportunistes, mais de lui avoir donné une assise sociologique solide : la France rurale, majoritaire jusqu’en 1931, bientôt protégée par les tarifs Méline et celle des classes moyennes urbaines, professions libérales ou fonctionnaires.

A ces deux France, la République promet, par l’école, l’ascension sociale et c’est en ce sens qu’il n’y a pas pour Gambetta de question sociale ; à ces deux France, la République apporte l’ordre social et la paix, non sans une solide culture patriotique, ciment de la nation.

Mieux, Léon Gambetta lui-même, dans son discours de Grenoble en 1872, annonce l’arrivée au pouvoir de « couches sociales nouvelles » – il était fils d’épicier – et la Troisième République a été celle des avocats avant d’être celle des professeurs.

QUELLES COUCHES SOCIALES NOUVELLES POUR LE MACRONISME ?

L’élite dirigeante est le miroir de la base sociologique du régime. Le « modèle républicain » de la Troisième République analysé par Serge Berstein, c’est donc la rencontre cohérente d’un système politique et d’une société.

Or, en 2017, si l’on voit bien l’habileté politique et l’opportunisme d’E Macron, on ne voit guère en revanche, pour l’instant, l’arrivée de « couches sociales nouvelles » au pouvoir ; plutôt le maintien en place d’une élite technocratique, un monde fermé et peu représentatif de la « France dans ses profondeurs » (de Gaulle).

On ne voit pas davantage où se situe la base sociologique du régime ou plutôt la France qui joue ce rôle semble circonscrite à celle des métropoles ; la « France périphérique » (C. Guilluy), laissée de côté, ne s’y retrouve guère.

Plus grave, l’orléanisme au pouvoir théorise même parfois son abandon – en 2011, un rapport de Terra Nova, un think tank proche du Président, préconisait l’oubli par la gauche de gouvernement des classes populaires -.

Une chose est sûre, la « Révolution » promise par le président de la République a peu de chances d’être pérenne si elle n’entraîne par la majorité du peuple dans son sillage. Remettre les institutions en marche n’a en effet pas grand sens si la majorité des citoyens ne s’y reconnaissent pas.

Pour retourner la formule de Prévost-Paradol, la France macronienne a peut-être trouvé sa forme de gouvernement, il lui reste à fonder une société nouvelle qui concilie modernité et solidarité. Une tâche sans doute autrement plus ardue.

 

Partager cet article
Repost0
10 juin 2017 6 10 /06 /juin /2017 17:26
À vouloir à tout prix moraliser la vie publique, ne risquons-nous pas d’aller vers une véritable tyrannie de l’opinion, qui n’est guère que l’image qu’en donnent les médias ?

 

Les affaires Fillon, Le Roux, Ferrand, de Sarnez sont inquiétantes pour l’avenir de la démocratie. Un ordre moral latent semble vouloir peu à peu s’imposer. Il proviendrait, selon certains médias ou politologues, d’une demande pressante de l’opinion publique. Celle-ci n’admettrait plus les pratiques du passé.

Une « moralisation » de la vie politique serait nécessaire pour répondre à cette attente. Mais ne risquons-nous pas d’aller vers une véritable tyrannie de l’opinion, qui n’est guère que l’image qu’en donnent les médias ?

EN DÉMOCRATIE, CHACUN CHOISIT SA MORALE

Il n’est pas question d’analyser ici les dispositions de la nouvelle loi en préparation, ni de traiter de sa pertinence. Il s’agit de dissocier droit et éthique et de rappeler que si le droit s’impose à tous, y compris aux politiciens, il n’existe aucune règle morale à caractère général et absolu en démocratie.

Il est donc tout à fait abusif d’évoquer la « moralisation ». Pourquoi ? Parce que ce régime politique autorise chacun à choisir sa morale en toute liberté. La liberté de conscience permet à chaque personne de choisir ou de ne pas choisir sa religion, son idéologie, les principes qui vont déterminer ses actions.

La morale de l’un n’est donc pas la morale de l’autre et personne ne peut considérer qu’une pratique quelconque est immorale de façon absolue. Tout juste peut-elle être contraire à la morale d’autrui.

Il n’existe pas en démocratie de morale publique unanimement reconnue. Nous vivons aujourd’hui dans le relativisme moral puisqu’il n’existe plus de religion officielle imposant des contraintes éthiques.

LA MORALE LATENTE DE LA MAJORITÉ NE S’IMPOSE À PERSONNE

Au risque de paraître provocateur, évoquons à nouveau les affaires récentes. Contrairement à ce que prétendent nombre d’intervenants dans les médias, il n’y a rien d’immoral à favoriser les membres de sa famille, sa maîtresse, son amant, ses amis. Il s’agit même d’une tendance spontanée de tout être humain.

PUBLICITÉ

Nous sommes sans doute, en moyenne, plus stricts dans ce domaine qu’on ne l’était dans le passé. Sous la royauté d’Ancien Régime, il était tout à fait normal d’obtenir des faveurs royales payées sur fonds publics pour les membres de sa famille ou ses amis.

Si nous condamnons assez largement le népotisme aujourd’hui, prétendre qu’il est immoral serait inexact. Il est seulement statistiquement rejeté par la majorité des citoyens. Il est loisible à quiconque d’adopter des principes éthiques plus imprégnés de tolérance que ceux de la majorité. Cela s’appelle la liberté.

Tant qu’une loi n’a pas transformé une éthique plus rigoureuse en droit positif, elle ne s’impose qu’à ceux qui l’adoptent librement.

LA LIBERTÉ D’EXPRESSION N’AUTORISE PAS LA CALOMNIE

Il en résulte que lorsque les médias stigmatisent des personnes dont le comportement n’a rien d’illicite, ils contreviennent à la liberté de conscience. Ils abusent de leur pouvoir en cherchant à imposer une soi-disant éthique majoritaire que seule la loi pourrait adopter.

Quiconque a le droit de se trouver en contradiction fondamentale avec cette opinion dominante, sans pour autant être transformé en brebis galeuse par la presse relayée par les réseaux sociaux.

La liberté d’expression a une limite : l’interdiction de calomnier. « Sans liberté de blâmer, il n’est point d’éloge flatteur ». La célèbre phrase de Beaumarchais nous rappelle qu’il est possible de critiquer un comportement au nom de principes différents.

Mais il n’est pas possible de clouer au pilori un individu au nom d’une vérité prétendument morale. Il n’y a pas de vérité morale en démocratie, seulement des vérités subjectives et très évolutives historiquement, donnant lieu un éternel débat.

INSTILLER LE DOUTE POUR DÉCHAÎNER LA CALOMNIE

Avant toute intervention de l’autorité judiciaire, François Fillon, Bruno Le Roux, Richard Ferrand, Marielle de Sarnez ont été la cible de campagnes de presse. Les journalistes intéressés par ce registre médiocre se situent en général sur un terrain juridico-éthique particulièrement flou.

Ainsi, un article del’Obs , signé MG, indique à propos de Richard Ferrand : « Les preuves apportées par Le Canard enchaîné, si elles embarrassent le gouvernement, n’attestent d’aucun acte illégal. » Comment prétendre qu’aucun acte illégal n’a été commis tout en évoquant des « preuves » rapportées par un simple journal satirique ?

L’objectif est évidemment d’instiller le doute dans l’esprit des lecteurs. Nombre d’entre eux s’étonneront qu’en présence de « preuves », il n’y ait pas de poursuites judiciaires. Le jésuitisme de ce journaliste n’est pas une exception.

Il a pour objectif de déchaîner la calomnie sur les réseaux sociaux et sur les sites internet spécialisés dans la haine d’autrui. Les journalistes dénonciateurs jettent leurs victimes dans la fosse aux lions de la communication numérisée.

PAS DE « MORALISATION » MAIS UN SIMPLE CADRE JURIDIQUE

La prétendue moralisation de la vie politique n’existe pas. Ce vocabulaire est utilisé par commodité pour circonvenir l’électorat. On lui fait croire qu’on répond à ses attentes, au demeurant bien mal définies.

En réalité, il s’agit d’adopter des textes limitant la liberté des politiciens ou des partis dans le domaine financier, bref d’encadrer plus strictement leurs ressources et leurs dépenses, voire la durée de leur mandat.

Cela n’a rien d’illégitime, mais pourquoi brandir de grands principes moraux pour quelque chose d’aussi banal ? Réponse : pour faire de la politique à la petite semaine, pour caresser l’opinion dans le sens du poil, comme on le fait couramment avec les chiens. Si l’opinion n’était pas si malléable, elle sentirait l’offense derrière la bienveillance.

LA TYRANNIE DE L’ÉGALITARISME

La passion de l’égalité, dont Tocqueville faisait le principe le plus puissant de la démocratie, est à la racine de ces lois de pseudo-moralisation. L’opinion publique ne se réclame d’aucun principe moral, mais elle accepte de moins en moins les différences.

Sous son emprise, beaucoup de différences sont déjà devenues des discriminations. Elle ne supporte plus désormais que ses dirigeants bénéficient d’une aisance financière trop voyante. La convoitise généralisée nous mène au règne de la transparence parfaite.

Au bout du chemin se trouve la tyrannie de l’égalitarisme. Lorsque le patrimoine et les revenus de tous nos politiciens pourront être scrutés au microscope par chaque citoyen, gageons que des démagogues s’étonneront encore qu’ils puissent vivre sur les deniers publics au-dessus du salaire minimum. La « moralisation » ne connaît aucune limite.

Partager cet article
Repost0
10 juin 2017 6 10 /06 /juin /2017 17:14

Le score État-moralisateur de l’Institut Économique Molinari montre l’inefficacité des politiques prohibitives pour améliorer les conditions sanitaires.

 

 

L’Institut Molirani  vient de publier la deuxième édition de son indicateur des Etats moralisateurs dans l’Union Européenne.

Cet indicateur se concentre sur les interdits en lien avec l’alimentation, l’alcool et le tabac au sens large. En somme, on mesure ici dans quelle mesure l’État vous « veut du bien » par une inflation réglementaire en faveur de la dissuasion de la consommation des produits légaux et de l’imposition d’un surcoût aux consommateurs.

DES ÉTATS DE PLUS EN PLUS MORALISATEURS

De tous les pays de l’Union européenne, seuls 6 pays ont enregistré des scores plus faibles que l’an passé, traduisant un assouplissement des interdits et/ou de la fiscalité. Il s’agit de la Belgique, du Danemark, de l’Estonie, de la Finlande, de Malte et de la Suède.

La Directive Européenne sur les Produits du Tabac aura été et sera, au fil de son application, particulièrement néfaste. Les cigarettes électroniques sont aussi en ligne de mire, malgré leurs bénéfices sanitaires évidents , preuve que le souci de la santé du citoyen n’est pas forcément au premier plan dans les démarches étatiques.

L’alcool n’est pas en reste : d’une manière générale, la situation reste stable mais certains pays tendent à pousser en direction d’un plus grand contrôle de la consommation, notamment par l’introduction de biais tarifaires.

QUELLE EFFICACITÉ ?

Puisque l’État vous veut du bien, il devrait s’intéresser à l’efficacité des politiques qu’il met en place et ce d’autant plus qu’il est connu que prohibitions et réglementations excessives nuisent aux plus pauvres et justifient donc l’existence d’un marché noir . On constate pourtant que le score État-moralisateur global ne présente aucune corrélation avec l’espérance de vie. Espérance de vie en fonction du score État-moralisateur global.

Plus précisément, il n’y a pas non plus de corrélation de ce score avec le taux de prévalence du tabagisme, ni avec la consommation d’alcool par personne, qu’elle soit modérée ou volontairement excessive

ON NOUS VEUT DU BIEN ?

Au risque de tomber dans le travers souvent reproché aux libéraux qui consisterait à placer l’économie en tête des priorités, on constate pourtant qu’il existe une corrélation bien plus marquée entre espérance de vie et PNB.

 

Espérance de vie en fonction du PNB.

Alors non, on ne vous veut pas du bien. Non, rien ne justifie les politiques de fiscalité et de réglementation comportementales. Non, on ne peut pas aller contre la liberté des individus de mener leur existence comme bon leur semble.

Bien sûr, il est connu que la consommation de tabac, d’alcool ou de sucreries est mauvaise pour la santé mais les faits sont têtus : les politiques prohibitives et collectives menées n’ont qu’un effet marginal sur le comportement des individus.

Si l’État vous voulait vraiment du bien, il penserait à vos libertés. À vos libertés économiques d’abord, parce qu’elles sont le seul moyen d’enrichir ses habitants et parce que cet enrichissement est partout et en toutes époques directement corrélé à l’amélioration des conditions sanitaires.

Ces conditions sanitaires améliorées, quelle nécessité pourrait-il y avoir d’attenter à vos libertés individuelles ? Dans un monde libéré, les individus savent arbitrer par eux-mêmes entre plaisirs et dangers.

Ils ne sont pas emprisonnés dans la gangue ouateuse de l’État nounou, car enfin, qui est mieux placé qu’un individu éclairé par un débat contradictoire et des arguments objectifs pour arbitrer entre ce qui lui nuit et ce qui lui bénéficie ?

Partager cet article
Repost0
8 juin 2017 4 08 /06 /juin /2017 07:26
On doit reconnaître à Emmanuel Macron un mérite : celui de sortir la France d’une prison dans laquelle elle s’était enfermée depuis des décennies : un bipartisme dégénéré.

 

Jusqu’à présent, chaque échéance électorale nationale opposait deux groupes de rivaux bien identifiés qui se paraient avec complaisance de l’appellation de « partis politiques ».

En effet leur harmonie était très insuffisante tant sur le plan des programmes de gouvernement que pour leur hiérarchie interne, dans les débats préélectoraux ou après qu’ils ont accédé au pouvoir.

Malgré ces insuffisances, les campagnes électorales donnaient le change avec le concours de tous les médias, heureux d’orchestrer une dramaturgie assez spectaculaire pour attirer un public nombreux. Attrait au demeurant bien surprenant car l’issue du combat était presque toujours la même : le rival du Président sortant était élu.

PAS DE BÉNÉFICE DE LA RÉÉLECTION AU SUFFRAGE UNIVERSEL

Exceptionnellement, les électeurs réélurent le Président sortant mais c’était toujours après une cohabitation, pour déjuger le Premier ministre démissionnaire. Ce fut le cas en 1988 et en 2002.

Ainsi en définitive, aucune politique générale, aucun gouvernement, aucun leader n’a bénéficié depuis 1969 d’une réélection au suffrage universel ou d’une confirmation.

Ceci est la conséquence logique de la médiocrité des gouvernements qui se sont succédé et n’ont pas apporté la preuve de leur réussite. Mais on ne saurait s’en tenir à une conclusion aussi sommaire.

Ni les hommes politiques, ni les citoyens ne sont des imbéciles. Si nos politiques se sont laissés enfermer dans cette prison, c’est qu’ils y avaient intérêt. La situation de la France est en vérité bien banale.

LA FIN DU DUOPOLE ?

Les deux grands partis « de gouvernement » ont formé un duopole. Ils se sont succédé au pouvoir sans surprise. Au fond, s’ils rataient une élection, il fallait juste qu’ils conservent toutes les chances de gagner la suivante et de revenir au pouvoir pour profiter de la situation très gratifiante de l’exécutif dans la Vème République.

Au pire, ne pas manquer deux échéances successives. Donc, ne pas entreprendre de changements trop profonds, puisque leurs résultats ne seraient pas visibles avant la prochaine échéance.

Donc faire des mesures catégorielles, des réformes sociétales et de la communication, car c’est rapide et visible. Ce sont des marqueurs, comme on dit, mais quel rapport avec les graves maux dont souffre la France ? Aucun, souvent, mais c’était trop compliqué de s’attaquer à ces derniers. Les réformettes éloignent moins du pouvoir.

CONTRE LES PARTIS DEVENUS RENTIERS

Pire encore, mais moins apparent peut-être, les élus et, autour d’eux, ceux qui aspiraient à les aider ou à leur succéder dans chaque parti, ont adopté un comportement de rentier caractéristique de celui des mauvaises entreprises.

Celui où plaire au chef est plus important que de gagner de nouveaux clients. Puisque le fonds de commerce est assuré aujourd’hui ou dans cinq ans, ils ne remuent pas trop la barque. Les recettes apprises à l’ENA ou à Sciences Po font l’affaire. Ils attendent patiemment leur tour.

Le traitement que vient d’infliger Macron au Parti socialiste est donc un sacré coup de pied dans cette funeste fourmilière.

OUVERTURE À LA SOCIÉTÉ CIVILE

L’arrivée de candidats de la société civile (c’est-à-dire de citoyens qui ne sont pas aujourd’hui des politiciens professionnels) va – nous l’espérons – changer ces comportements de rentiers, puisque les nouveaux venus n’ont pas encore de rente à défendre.

Certes, il ne faut pas être trop optimiste. La recherche de rente étant inhérente à la nature humaine, la prison peut se reformer dans sa forme habituelle de duopole ou d’une autre manière, pire encore, par le monopole des grands corps pourvus par les meilleurs élèves de l’ENA, à commencer par celui des Inspecteurs des Finances.

Le Front national peut rendre ici un grand service en étant un acteur crédible. Mais ce serait un comble si la droite, en principe attachée à la liberté, faisait dans l’avenir moins bien que Macron en ne mobilisant pas pour les diverses élections les dizaines de milliers de simples citoyens réunis au sein du Conseil de la société civile animé par Pierre Danon, et coauteurs du projet de François Fillon  (a l'époque pas encore l'otage de Sens Commun). La droite peut, elle aussi, ébranler la prison. Pourquoi ne l’a-t-elle pas fait la première ?

 

La partie n’est donc pas terminée mais saluons la première étape et souhaitons que tous s’en inspirent pour consolider cette petite révolution.

Partager cet article
Repost0
9 mai 2017 2 09 /05 /mai /2017 10:42
On m’a poussé cet article que j’ai trouvé fort intéressant… une question se posant : Emmanuel Macron est-il Libéral !!!  

 

Qui est vraiment Emmanuel Macron ? Peut-il se révéler une bonne surprise libérale une fois à l’Elysée ? Nous avons interrogé 3 experts pour recueillir leurs avis croisés. Interview croisée de Jacques Garello (économiste et ancien président de l’Aleps), Gaspard Koenig (philosophe et président de Génération Libre), et Jérôme Perrier (historien et chercheur).

QUELLE EST LA PLACE D’EMMANUEL MACRON DANS LA TRADITION POLITIQUE ET INTELLECTUELLE LIBÉRALE ? EN RUPTURE OU DANS UNE CERTAINE CONTINUITÉ ?

Jérôme Perrier : À mon sens, Emmanuel Macron s’inscrit dans une double filiation libérale. D’abord, celle d’un libéralisme de gauche, qui compte dans notre pays de très grandes figures, injustement oubliées ou négligées, comme celles de Benjamin Constant ou d’Alain par exemple. Ensuite, celle d’un libéralisme qui s’accommode d’un État relativement fort, et que Lucien Jaume dans ses travaux a qualifiée de « libéralisme par l’État » ou de « libéralisme étatique », par opposition à un « libéralisme de l’individu » beaucoup plus méfiant à l’égard de la puissance publique.

Gaspard Koenig : Hayek distinguait un libéralisme français, épris de droits et de rationalité administrative, et le libéralisme anglais, plus respectueux des institutions et de leur évolution spontanée. Foucault trace à peu près la même distinction dans ses Leçons de Biopolitique. La meilleure illustration de ce libéralisme français fut la révolution de 1789, fondée sur la formule de l’abbé Sieyès : pas d’intermédiaires entre l’État et l’individu. Cela a donné l’égalité des droits, l’abolition des corporations et la volonté de rendre plus transparent le fonctionnement de l’État. C’est exactement dans cette tradition que s’inscrit Emmanuel Macron. Il souhaite instaurer dans nos systèmes économiques et sociaux une formule égalitaire permettant à chacun de faire ses choix et d’en assumer les conséquences : c’est tout l’esprit de la réforme de l’assurance-chômage, de la retraite à points, ou bien sûr de l’ouverture des marchés et de la lutte contre les rentes. S’il va jusqu’au bout de ce projet, cela témoignera d’une vraie rupture avec l’héritage techno-corporatiste hérité de Vichy. La critique de Hayek contre le libéralisme français reste pertinente, mais ce serait déjà une sacrée avancée pour la liberté…

Pour Jacques Garello, bien plus critique : Emmanuel Macron ne peut se réclamer dulibéralisme, même s’il se présente comme « social libéral » : un oxymore puisque le vrai clivage politique et économique est entre socialisme et libéralisme. Il trompe son monde en jouant sur la vacuité du clivage droite-gauche, puisqu’en effet ladite droite française n’a cessé d’accélérer la marche au socialisme

Quand on entend Macron et les autres se réclamer sans cesse du gaullisme, il y a de quoi inquiéter un libéral. On n’est pas libéral parce qu’on a le soutien du patronat institué, trop heureux de prolonger l’ère du capitalisme de connivence en France, et ivre de dialogue social. On n’est pas libéral parce qu’on reçoit le soutien d’arrivistes ou d’égarés qui se disent libéraux. .

QUEL EST LE POINT DU PROGRAMME LE PLUS INTÉRESSANT DANS LE PROGRAMME D’EMMANUEL MACRON ?

Jacques Garello : Le plus intéressant est son désir de revoir totalement la mission et les règles de l’Union Européenne. En effet la dérive dirigiste, bureaucratique, est intolérable et ne favorise en rien le libre échange et la libre entreprise. Mais avec qui Macron fera-t-il cette révision ? Avec Angela Merkel « l’ultralibérale », ou avec Martin Schultz qui a réalisé le virage à gauche du SPD ? Sigmar Gabriel a « fait un rêve : une Europe avec Macron et Schultz à sa tête ». En fait un cauchemar.

Jérôme Perrier : Il y a beaucoup de choses intéressantes dans le programme d’Emmanuel Macron, comme la valorisation de la réussite individuelle, de entrepreneuriat, de la prise de risque, de la concurrence, etc., etc. Mais le plus important à mes yeux est peut-être l’affirmation récurrente que les réformes ne peuvent se faire de manière centralisée et par le haut (notamment par la loi), mais qu’au contraire, il faut que les décisions se prennent au plus près du terrain et des acteurs concernés. C’est ce qui le conduit par exemple à promouvoir une plus grande autonomie des établissements scolaires et à encourager l’expérimentation pédagogique, ou, dans un autre domaine, ce qui l’amène à vouloir réformer notre droit du travail en substituant le dialogue social au niveau de la branche et de l’entreprise plutôt qu’au niveau national, et plus encore à la place de la loi. C’est là, à mon avis, que réside le germe libéral le plus prometteur de son programme.

Gaspard Koenig : Le plus intéressant est la réforme de l’assurance-chômage. C’est une ambition structurelle : Emmanuel Macron propose d’en confier la gestion à l’État, de basculer les cotisations salariales sur la CSG, et d’en ouvrir le bénéfice à toutes les sorties d’emploi (y compris donc pour les salariés qui démissionnent ou les indépendants qui veulent se mettre au vert).

Le constat est juste : alors que le travail indépendant prend peu à peu son envol, les systèmes assurantiels de l’État-providence industriel deviennent obsolètes. L’intention est excellente : créer une forme de protection individuelle portable qui permette de sortir de l’emploi et d’y revenir aussi souvent que nécessaire, de manière souple et apaisée. Mais la solution la plus élégante à cette question éminemment contemporaine serait la mise en place d’un revenu universel. L’« assurance-chômage universelle » est une sorte de revenu universel pour personnes hors de l’emploi, financé lui aussi par une flat tax sur le revenu (sous forme de CSG). À la différence cependant du revenu universel, cette assurance-chômage universelle conserve des montants d’indemnisation différenciés, alors même que l’impôt sur lequel elle est assise est proportionnel. Il devient donc nécessaire, fort logiquement, de renforcer les contrôles sur les bénéficiaires, pour éviter que demain nous nous mettions tous au chômage avec un vague projet de start-up. C’est là qu’est le risque : là où le revenu universel permettrait au travailleur du 21esiècle de s’affranchir de la bureaucratie et du contrôle d’État, l’assurance-chômage universelle risque bien de l’y replonger, sans échappatoire possible.

QUEL EST LE POINT LE MOINS INTÉRESSANT DANS SON PROGRAMME ?

Gaspard Koenig : J’hésite entre la « suppression » de la taxe d’habitation, qui va recentraliser la fiscalité locale et la basculer vers le contribuable national, et la création du Pass’ Culture, qui va créer toute une bureaucratie chargée de vérifier quelles sont les activités culturelles éligibles, avec toutes les dérives que l’on peut imaginer… On aurait pu se passer de ce genre de mesures clientélistes qui vont consommer du capital politique, créer toutes sortes de débats inutiles, et aboutir à des dispositifs boiteux que l’on mettra des années à supprimer.

Jacques Garello : On a l’embarras du choix pour relever ce qu’il y a de moins intéressant dans le programme qu’il a présenté durant sa campagne : le remboursement des prothèses, les classes à 12, la suppression de la taxe d’habitation, le service militaire d’un mois, les amendes payées sur-le-champ par les petits délinquants, l’aide versée aux retraités en contrepartie de la CSG, les stages des étudiants en médecine… Au demeurant tous les points du programme, même ceux qui ont l’air sérieux (comme la durée du travail), sont dans un flou artistique qu’il appartiendra au futur gouvernement de gérer (mais quel est ce gouvernement ?).

Jérôme Perrier : Je suis quelque peu sceptique sur la confiance qu’il place dans l’État interventionniste, stratège, régulateur et gardien du long terme, et notamment dans son grand Plan d’investissement de 50 milliards d’euros. Entendons-nous, je ne suis pas anarcho-capitaliste et je crois que l’État a un rôle de régulateur à jouer, mais quand on parle de projets massifs d’investissements qui se comptent en dizaines de milliards, cela me fait toujours un peu peur, car cela me rappelle le temps du Plan Calcul. N’oublions pas qu’Emmanuel Macron est un inspecteur des Finances, et que (comme l’ont très bien montré les travaux de l’historienne Nathalie Carré de Malberg) cette institution a souvent engendré un libéralisme très modéré, trés statophile.

Reste que le programme et le livre d’Emmanuel Macron (Révolution) témoignent d’un authentique libéralisme, rare dans notre classe politique depuis qu’Alain Madelin a quitté la politique active. C’est la raison pour laquelle j’ai soutenu sa candidature (avec son engagement européen, que je partage entièrement).

Partager cet article
Repost0