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  • : Le blog de Jean-Loup
  • : Engagé, depuis plusieurs décennies dans une démarche visant à lutter contre tous les processus d'exclusion, de discrimination et de ségrégation socio-urbaine, je suis persuadé que si nous voulons « construire » une société reposant sur un véritable Vivre Ensemble. Il nous faut savoir, donner du sens au sens, prendre le temps de la concertation et faire des propositions en adéquation avec les besoins de nos concitoyens.
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22 février 2016 1 22 /02 /février /2016 13:28

Un nouveau gouvernement ! Vous n’en rêviez pas ? Vous n’en aviez pas besoin ? Et pourtant vous l’avez quand même ! ! !

C'est nouveau et c'est comme cela..

Après tout, Valls et Hollande n’avaient-ils pas d’autres priorités que la gestion des affaires internes à la/les gauche(s) française(s) ?

On se demande quand même pourquoi Valls est resté en poste, surtout après les échecs subis par la gauche aux dernières élections. Après tout, c’est bien suite à des défaites électorales que Jean-Marc Ayrault avait été démissionné de son poste de Premier ministre, non ?

Remaniement ou pas, les questions de fond demeurent.

En théorie, et en vertu de la théorie (libérale) de la séparation des pouvoirs, chacun convient de la pertinence de la maxime de Montesquieu : « Pour qu’on ne puisse pas abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir. »

C’est pourquoi le corps législatif, élu par les citoyens dans le cadre des modalités d’organisation de la démocratie représentative, pour parler à la place du peuple, est chargé de contrôler l’action de l’exécutif et de voter les lois.

On avait déjà de sévères accrocs à cette théorie de la séparation des pouvoirs, de part le rôle prédominant du Président de la République française ou celui du gouvernement, dans le système institutionnel.

Mais quand 441 députés, sur un total de 576, ne se déplacent même pas pour un vote important, constitutionnaliser l’état d’urgence (c’est-à-dire pérenniser un régime d’exception d’abolition partielle de la séparation des pouvoirs), à quoi servent les députés ? Ne font-ils pas implicitement l’aveu de leur faible utilité ?

Les spécialistes des affaires parlementaires, comme Authueil, expliquent qu’en réalité, il faut nuancer la portée de cet absentéisme, et que les séances publiques ne sont pas le lieu où se jouent les votes et que les choix des députés ne sont jamais individuels. Soit. Voilà peut-être pourquoi il n’y a pas d’opposition au gouvernement ? Le comportement individualiste de certains députés nous permet néanmoins quand même d’espérer.

Que ce soit sur la gestion de la fonction publique, ou bien que l’on parle de la question de la réforme constitutionnelle, ce ne sont pas les questions au gouvernement qui manquent. Alors, entendrons-nous les députés poser les questions au gouvernement (QAG) suivantes ?

Dans le cadre de sa mission de contrôle de l’action de l’exécutif, le corps législatif, à commencer par les députés à l’Assemblée Nationale, posera-t-il les questions au gouvernement (QAG) suivantes ?

Question au Premier ministre, Manuel Valls

Monsieur le Premier ministre, vous avez déclaré que les aides aux entreprises pourraient bientôt être conditionnées en estimant que les engagements du patronat dans le cadre du pacte de responsabilité « n’étaient pas respectés ». Bravo, monsieur le Premier ministre, pour parvenir à rejeter la responsabilité du chômage sur les entrepreneurs. Il faut dire que vous avez pour interlocuteur le MEDEF, c’est-à-dire un syndicat assez peu, voire pas du tout représentatif des entreprises qui, bien qu’il n’ait absolument aucun pouvoir de décider à la place des entrepreneurs qui et comment embaucher, a laissé entendre que le pacte de responsabilité était une bonne idée. Et si, Monsieur le Premier ministre, vous supprimiez toute forme « d’aide » aux entreprises, y compris le pacte de responsabilité ou le CICE, afin de privilégier, plutôt, la stabilité juridique et fiscale ? Les entreprises ne demandent pas des aides, Monsieur le Premier ministre, elles demandent juste qu’on les laisse travailler.

Monsieur le Premier ministre, merci de cesser de réduire les entreprises au MEDEF, et merci de rappeler également que La Poste, entreprise 100% publique, est l’une des plus grosses bénéficiaires du CICE ?

Question à Jean-Marc Ayrault, ministre des Affaires Étrangères
Félicitations, Monsieur le Ministre, nous ne savions pas que vous étiez, en plus du fait de parler allemand, spécialiste des questions diplomatiques ! Espérons que vous saurez trouver votre place entre François Hollande, ce président qui a choisi de poursuivre la diplomatie sarkozienne, et Jack Lang, shadow ministre des affaires étrangères qui, lui, n’est pas remanié à la tête de l’Institut du Monde Arabe !

Mais loin des intrigues de cour du 7ème arrondissement, Monsieur le Ministre, le monde bouge, notamment en Turquie, notre partenaire au sein de l’OTAN. Ce pays a, si on en croit plusieurs médias, violé l’espace aérien grec, c’est à dire l’espace aérien de l’Union Européenne.
Rajoutons à cela les autres contentieux, comme le dossier des réfugiés, ou les liens avec la Russie.

Monsieur le Ministre, allez-vous demander la renégociation des accords liant l’OTAN et la Turquie ?

Question au ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve
Félicitations Monsieur le Ministre, malgré l’insécurité, malgré le terrorisme, malgré les bavures policières, vous êtes toujours en poste. Vous conservez votre boulot, mais votre bilan demeure. État d’urgence, loi renseignement, déchéance de la nationalité, le gouvernement auquel vous appartenez, non seulement fait preuve d’inefficacité mais surtout affaiblit la garantie de nos libertés, comme le note Aurélien Véron, président du Parti Libéral Démocrate.

Monsieur le Ministre, pourriez-vous faire le bilan des bavures liées à l’État d’urgence et expliquer quels remèdes vous comptez apporter ? Pouvez-vous également expliquer en quoi la France n’est pas menacée de voir disparaître la démocratie, au profit d’un régime certes républicain, mais néanmoins autoritaire ?

Question au ministre des Finances, Michel Sapin

Monsieur le Ministre, vous qui travaillez sur le dossier de la fraude fiscale, pouvez-vous nous donner des nouvelles de Jérôme Cahuzac ? Comment va-t-il ?

Évidemment, on pourrait aussi interroger la nouvelle ministre de la Culture sur le népotisme ou sur le copinage, le ministre de l’Aménagement du territoire, de la ruralité et des collectivités territoriales sur le conflit d’intérêt avec La Dépêche du Midi ou encore divers ministres, y compris le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, sur le cumul des mandats, mais ces sujets sont de moindre importance face aux questions des libertés ou de la réforme de l’économie. Et puis surtout, ce n’est manifestement pas la morale qui guide cette équipe gouvernementale.

Les questions sont sur la table. Y aura-t-il des élus pour les poser…..

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25 janvier 2016 1 25 /01 /janvier /2016 16:54

Nous sommes encore en janvier 2016 et pourtant, des départements crient famine. Oui, vous avez bien lu : l’année est à peine entamée que déjà, certains départements expliquent avoir du mal à boucler leur budget annuel. Vous êtes en France, tout va bien.

C’est en juin 2015 que je relatais les problèmes de certains départements qui s’inquiétaient alors de voir les dépenses sociales exploser. Le RSA, à leur charge, continue en effet de grossir à mesure que la situation économique se dégrade et l’État, trop heureux d’avoir laissé cette manne sociale à leur charge, n’entend pas trop les aider pour renflouer leur trésorerie.

Et ce constat d’une trésorerie de plus en plus tendue n’est pas nouveau : toujours en juin 2015 et dans sa publication officielle, l’Observatoire National de l’Action Sociale (ONAS) remarquait que 2014 n’avait pas été tendre avec les trésoreries départementales, d’autant que, malgré des « efforts de rationalisation », les dépenses avaient malgré tout augmenté de 4,3% (ce qui se traduit par 1,4 milliard d’euros en plus, tout de même). À l’époque, je rapportais les discours de la directrice de l’ONAS qui insistait sur l’aspect imprévisible de ces dépenses sociales et du RSA.

Mais baste, c’était en juin. De l’eau a coulé sous les ponts, des euros ont coulé dans les caisses de l’État et de ses collectivités territoriales… et de bonnes résolutions ont coulé par le fond : malgré les atermoiements des uns et des autres, la situation n’a absolument pas changé. Et lorsque l’année nouvelle est arrivée, les problèmes de trésorerie se sont à nouveau refaits sentir : quatre présidents des conseils départementaux d’Île-de-France recommencent à gémir de moins en moins discrètement.

Jean-Jacques Barbaux (Seine-et-Marne), Arnaud Bazin (Val-d’Oise), Pierre Bédier (Yvelines) et François Durovray (Essonne), élus Les Républicains, dénoncent l’asphyxie budgétaire que le gouvernement, selon eux, organiserait sciemment. Dans la foulée et pour ne pas déroger aux bonnes recettes socialistes qui veulent qu’à tout problème correspond une solution composée pour 99% d’argent de l’État et pour 1% de termes marketing vaporeux, ils se sont réunis en association pour lui demander un «pacte de solidarité». Ce pacte, c’est le 1% vaporeux, et les thunes qui vont les sortir de l’ornière, ce sont les 99% que le contribuable sera heureux (mais si) de leur filer.

Il faut dire que leur situation est inextricable, et je cite Jean-Jacques Barbaux :

«En plus de la baisse de la dotation globale de fonctionnement versée par l’État, les départements doivent affronter la hausse des dépenses sociales obligatoires, comme le RSA, ce qui nous oblige à mener des politiques d’économies.»

Aaaaararggh, il l’a dit et c’est abominable : avec ces dépenses en hausse et ces dotations en baisse, ils sont obligés de mener des politiques d’économies, par opposition à la situation antérieure où, quand l’État s’occupait des dotations, ils menaient avec une assez jolie décontraction des politiques dispendieuses, je présume. Et le problème est aigu puisque des économies « drastiques » ont été menées : 68 millions dans le Val-d’Oise, 45 en Essonne, 25 dans les Yvelines, 17,6 d’euros pour la Seine-et-Marne.

Mais le plus dur est à venir, ces économies ne suffisant pas. Parallèlement, une hausse de la fiscalité est programmée. Et là, c’est la catastrophe puisque ce sont, on l’aura compris, « des mesures impopulaires ».

Non, sans blague ?

Les présidents de conseils généraux sont maintenant confrontés à un choix de plus en plus douloureux : soit faire des économies en fermant enfin, vraiment, les robinets à subventions débiles, superfétatoires ou très en dehors des attributions normales de l’État au niveau départemental, ce qui ne manquera pas de leur mettre à dos tous ceux qui étaient en dessous de ces robinets, soit augmenter la fiscalité, ce qui revient à mécontenter tous ceux qui approvisionnent ces robinets.

La bataille promet d’être épique puisque, socialisme aidant, les deux populations sont maintenant de taille équivalente et se sont placées, l’une et l’autre, dans une étreinte aussi morbide que langoureuse : l’une, qui réclame des aides, obtient l’oreille des politiciens et accroît donc les impôts de l’autre, dont chaque membre finit par trouver la ponction trop lourde et finit par basculer du côté des aidés. De fil en aiguille, il y a bientôt plus d’aidés que d’aidants, de ponctionneurs que de ponctionnés. Et lorsque l’argent vient à manquer, quoi que les politiciens fassent, ce sera impopulaire.

Bien malheureusement pour toute notre dispendieuse troupe de présidents sans courage et sans vision de long terme, la sortie de l’étreinte ne passe en effet que par la diminution drastique des aides, et la baisse conséquente des impôts. Un tel mélange, inouï en France depuis des décennies, ne peut se concevoir. Ce sera donc la hausse d’impôts et les économies de pacotille sur les trombones, les transports en commun, l’intendance (qui suivra, vaille que vaille) ou l’infrastructure (qui tiendra bien encore quelques années).

Et pour parachever le ridicule, des négociations ont même été menées entre les départements et l’État pour tenter de « recentraliser » le RSA, c’est-à-dire de refiler la patate chaude à l’étage du dessus, étage qui nage pourtant dans le bonheur douteux de dettes déjà abyssales. Évidemment, ces négociations ont misérablement foiré.

Notons au passage que devant l’ampleur du désagrément que cette cure de minceur violente et obligatoire provoque sur le staff politique, les présidents de Conseils envisagent des « mesures de rétorsions » contre l’État et plus précisément, contre le président Hollande. La menace pourrait être un bluff, mais elle pourrait aussi s’avérer efficace puisque parmi les rétorsions envisagées, l’une d’elles serait d’imposer aux allocataires du RSA de s’inscrire à Pôle emploi. Ceci aurait un léger impact sur les chiffres du chômage et rendrait problématique l’inversion de cette courbe si chère au président, et, par conséquence, de compromettre sa candidature au renouvellement de son poste en 2017 (même si, ne soyons pas naïfs, on peut douter que Hollande s’embarrasse vraiment de ce genre de détails lorsqu’il s’agira de se représenter).

Bref, on le comprend : la situation globale est devenue extrêmement complexe et c’est un jeu de billard à bandes multiples qui se met en place. Impôts en hausse, RSA en baisse, chômage soumis au chantage des départements, dotations dans la balance, budgets des départements contre celui de l’État, et, de façon maintenant évidente, un contexte économique mondial délétère, tout est réuni pour que l’année 2016 soit particulièrement épineuse pour le pauvre président Hollande.

Heureusement, son passé parle pour lui : ♪♩ ces petites misères seront passagères, tout cela s’arrangera ♪♫ .

H16

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22 janvier 2016 5 22 /01 /janvier /2016 17:54

Une authentique solidarité n’est-elle pas celle d’un partage spontané relevant de la volonté individuelle plus que d’une institutionnalisation à marche forcée ?

Aussi entendons-nous insister à présent, dans ce second volet, sur l’indispensable liberté du consentement individuel à l’exercice d’une solidarité.

En effet, pour être véritablement honorable, c’est-à-dire digne de respect, toute performance doit prendre appui sur le moteur éthique d’une solidarité que nous pourrions qualifier d’« innocente » en tant qu’elle vise au partage équitable des fruits de l’effort et ne s’exerce pas sous la pression d’une injonction collective et infantilisante à la justice sociale. Armand Laferrère a d’ailleurs montré dans un mémorable article, publié au cours de l’été 1998 dans la revue Commentaire, combien l’assistanat est l’ennemi de la solidarité et combien la « justice sociale » à la française est une inefficace hypocrisie consistant à préférer l’égalité à la liberté, ce qui, dans les faits, se traduit par moins de liberté mais jamais moins d’inégalités… les Français s’entêtant – comme le montrera Jean-François Revel dans La Grande parade, à tolérer les seuls privilèges accordés par l’État.Ludwig von Mises entreverra d’ailleurs à ce sujet le risque du « destructionisme » que présentent toutes les formes de solidarité nationale imposées à chacun et qui se révèlent, un jour ou l’autre, exceptionnellement contre-productives. Une fois dissociée par l’industrialisme et l’urbanisation, la solidarité basée sur la responsabilité ou la faute a peu à peu fait place à une solidarité du risque, prise en charge non plus par les hommes mais par l’État. Celle-ci fut théorisée vers 1893 par des intellectuels comme Emile Durkheim et prit par exemple la forme du solidarisme dès 1899 sous la férule de Léon Bourgeois dont le projet était de faire converger la tradition contre-révolutionnaire et l’égalitarisme du socialisme utopique en vogue à cette époque.

Kant peut toutefois être considéré comme le premier philosophe à avoir perçu puis distingué ce qui relève de la solidarité entre États et le « droit cosmopolitique » fondé sur une hospitalité minimale due à tout homme. Seul le kantisme a donc anticipé la concurrence croissante entre l’attachement à la nation et d’autres formes de solidarité : socialement en effet, le groupe national n’est pas le seul à « éprouver des solidarités » comme le dit A. Grosser dans Au nom de quoi ? Les appartenances de classe, qui fondent la solidarité sociale, de culture, qui incluent le phénomène religieux, de pratiques (les loisirs), de voisinage ou de communauté, ou même, avec l’émergence de ce que Cassese appelle les « couloirs et droits humanitaires », à l’ensemble de l’humanité sont autant de registres possibles d’exercice de la solidarité, qui affaiblissent la prééminence du choix imposé à tous d’une solidarité à l’échelle nationale. Une authentique solidarité n’est-elle pas celle d’un partage spontané relevant davantage de la volonté individuelle et morale plutôt que d’une institutionnalisation à marche forcée ?

La sincérité apparaît donc comme consubstantielle de la solidarité ; ou, pour le dire autrement, en reprenant la méthode nietzschéenne de la généalogie pour enquêter sur les valeurs morales, la sincérité à l’autre – bien opposée en ce sens à la philanthropie ou à l’altruisme – est très probablement un concept moral précurseur de la solidarité, dès lors que l’on estime impossible, c’est-à-dire que l’on s’estime personnellement indigne ou incapable, de vivre légalement aux dépens des autres. C’est peut-être cela d’ailleurs le primat de la solidarité : être responsable de soi-même au point de ne dépendre aucunement des autres. On retrouve cette thèse dans l’ouvrage Solidaire si je veux ! du professeur Alain Laurent, qui plaide en faveur d’une alliance de l’éthique de la responsabilité individuelle et de la libre coopération contractuelle qui, seule, peut donner vie à une solidarité volontaire au sein de la « civilité retrouvée ». Christian Michel abonde lui aussi dans ce sens lorsqu’il déclare que « la morale se situe dans l’engagement personnel, et la solidarité s’appelle alors amour et charité ».

Si elle apparaît donc – plus ou moins spontanément – comme un impératif, la solidarité doit cependant s’exercer de concert avec la sincérité du sentiment et non être le résultat d’une quelconque pression culpabilisante. À cet égard, nous pouvons nous interroger quant à la possibilité d’une conciliation entre la décision éminemment individuelle de la solidarité en acte et la nécessaire prise de conscience d’un destin commun de tous avec tous, pour détourner Hobbes. C’est cette tentative, cette quête d’un génie réconciliateur qu’exprime merveilleusement dans L’enracinement la philosophe Simone Weil lorsqu’elle prophétise : « Celui qui inventerait une méthode permettant aux [humains] de s’assembler sans que la pensée s’éteigne en chacune d’elles produirait dans l’histoire humaine une révolution comparable à celle apportée par la découverte du feu, de la roue, des premiers outils.» Or nous connaissons les prouesses, les performances réalisées par l’Homme depuis qu’il maîtrise le feu, a découvert la roue et s’est fabriqué ses premiers outils ; suivre Simone Weil jusqu’au bout de sa pensée, c’est par conséquent reconnaître indéfectiblement que seule la solidarité humaine peut à présent couvrir le monde des Hommes d’autant de stabilité et d’honneur qu’a pu le faire le progrès technique.

À l’ère à laquelle nous vivons, celle du narcissisme hédoniste, du relativisme erratique d’un libre arbitre devenu libre arbitraire et du nihilisme contemporain à l’endroit des valeurs qui fondent notre tradition, il nous faut nous méfier de la dangereuse instrumentalisation de la solidarité comme injonction – en réalité tout à fait contre-productive. En effet, la solidarité est un impératif, catégorique pour les uns qui y voient la condition même de toute (sur)vie en société, de raison pour les autres, rappelés à l’autre par la globalisation, véritable miroir de la naturelle interdépendance des Hommes. Il faudrait toutefois se garder de faire de cet impératif un diktat au détriment de toute éthique individuelle fondée sur la libre contribution de chacun à la solidarité.

S’il est donc vrai que sans elle aucune performance ne peut véritablement être pérenne, ni digne d’estime ou de respect, puisqu’elle se ferait dans le mépris de l’humaine condition, il nous faut conjointement porter toute notre attention au libre exercice d’une solidarité heureuse et consentie celle-là même que décrit F. Nietzsche dans Le Gai savoir : « Toi aussi tu voudras secourir ! mais ne secourir que ceux-là dont tu comprends entièrement la détresse, parce qu’avec toi ils ont une souffrance et une espérance — tes amis : et ne les secourir qu’à la manière dont tu te secours toi-même : — je les rendrai plus courageux, plus endurants, plus simples, plus joyeux ! je leur enseignerai ce que maintenant si peu de gens comprennent, ce que ces prédicateurs de la solidarité compatissante comprennent le moins : — la solidarité dans la joie »« Toi aussi tu voudras secourir ! mais ne secourir que ceux-là dont tu comprends entièrement la détresse, parce qu’avec toi ils ont une souffrance et une espérance, — tes amis : et ne les secourir qu’à la manière dont tu te secours toi-même : — je les rendrai plus courageux, plus endurants, plus simples, plus joyeux ! Je leur enseignerai ce que maintenant si peu de gens comprennent, ce que ces prédicateurs de la solidarité compatissante comprennent le moins : — la solidarité dans la joie.

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19 janvier 2016 2 19 /01 /janvier /2016 14:28

Force est de constater que, dans nos sociétés contemporaines, la démocratie d’opinion a le vent en poupe. Au-delà de ses grands travers mais également de ses qualités certaines d’authenticité, elle produit des objets politiques qui n’auraient probablement pas germé sans elle ; ainsi en va-t-il de l’actualité qui vit triompher le combat des Enfants de Don Quichotte, couronné par l’émergence d’un droit au logement opposable, dont nous percevons nettement qu’il ne concernera pas les seuls sans-abri mais aussi, à terme, tous les « travailleurs pauvres », c’est-à-dire les « mal-logés ».

Pourtant, des 110 propositions de François Mitterrand en 1981 au thème de la « fracture sociale » commun aux campagnes présidentielles de 1995 et 2002, du mouvement écologiste au leader de l’extrême droite, en passant par la regrettée figure de l’Abbé Pierre, la solidarité est désormais devenue en France une injonction culpabilisatrice, le « désolant refrain du mea culpa » dont parle Nietzsche dans son triptyque Généalogie de la morale : il faut être socialement solidaire. Toutefois, est-ce parce qu’il est vrai que « les hommes construisent trop de murs et pas assez de ponts », comme le fait remarquer Isaac Newton, qu’il faut ne pas s’interroger sur les principes et les formes d’expression du partage avec les exclus et victimes des inégalités, pour mieux accepter le règne du néo-solidarisme qui annonce le paroxysme d’un État-providence que ses effets pervers vouent à l’autodestruction ? Quel statut conférer et quelle place réserver, en somme, à la solidarité dans notre société ?

Aussi envisagerons-nous d’abord dans cet article en deux volets le bien-fondé de cet impératif de solidarité auquel nous enjoint la société tout entière, pour nous poser ensuite la question des conditions nécessaires à l’émergence et au déploiement d’une solidarité volontaire susceptible d’accompagner durablement et honorablement nos performances.

La solidarité peut apparaître – et nous allons nous employer à le montrer ici – comme l’impératif de toute vie en société, qu’il semble aux hommes catégorique ou non, an sens kantien du terme.
Certains, en effet, identifient une solidarité, par nature indispensable pour faire société, qui repose sur la reconnaissance et le sentiment spontanés d’un destin commun à tous les hommes. Cette certitude repose sur le fait qu’aucun être humain ne peut survivre si au moins une personne n’identifie pas son bien propre avec le sien ; c’est le sens que Platon donne à sa phrase, dans le Livre II de La République : « Ce qui donne naissance à la cité, c’est, je crois, l’impuissance où se trouve chaque individu de se suffire à lui-même et le besoin qu’il éprouve d’une foule de choses. » Ce n’est pas autre chose que le bonheur d’être ensemble qu’affirme son disciple Aristote dans Éthique à Nicomaque ou comme ici dans La Politique : « il est manifeste que la cité fait partie des choses naturelles, et que l’homme est par nature un animal politique, et que celui qui est hors cité, naturellement bien sûr et non par le hasard [des circonstances], est soit un être dégradé soit un être surhumain ». On se rappelle d’ailleurs la façon dont Homère injuriait l’homme qui vivait de la sorte, dans le mépris des siens : un être « sans lignage, sans loi, sans foyer », précurseur des brigands et autres marginaux « sans feu, ni lieu ». Par conséquent, malgré ce que Kant nomme « « l’insociable sociabilité » de l’homme – cette conscience qu’il a de ne pouvoir exister sans les autres même s’il s’autorise ponctuellement à faire exception aux règles communes et donc à faire comme si les autres n’existaient pas puisqu’il omet de s’interroger sur les conséquences de ses actes comme si chacun en faisait autant – la solidarité comme indispensable collaboration entre les hommes et par delà les besoins naturels de protection et de repères dont elle ne constitue pas la satisfaction la plus spontanée (les travaux en sociologie urbaine de l’École de Chicago ont démontré que ces besoins s’expriment davantage dans l’édification de remparts physiques ou métaphoriques) constitue un authentique critère de justice humaine digne de transparaître dans chacune des actions dont, comme le dit Kant, « la maxime puisse être érigée en règle universelle ».

Nous noterons par ailleurs que cet impératif d’une solidarité naturelle a l’appui de l’héritage chrétien : d’abord catholique, avec l’ordre des Dominicains (qu’on se rappelle la généreuse évocation des Hospices de Beaune par le docteur Patrice Planté), puis l’émergence de la mauvaise conscience de Charles Quint à l’égard des Aztèques lors de l’expédition en Amérique Latine au XVIe siècle ; ensuite protestant, avec le Hollandais Grotius qui formalisa la thèse d’une universalité générique des droits fondamentaux qui rendent les Hommes à la fois égaux et solidaires en droits.

D’autres, cependant, ne reconnaissent pas cet impératif de solidarité comme naturel et se contentent d’y voir une solidarité par la raison, sous la forme d’une entraide, certes efficace et raffinée, mais confinant à l’empathie. C’est ce que les philosophes contractualistes de la fin du XVIIe et du XVIIIe siècles qualifiaient de « solidarité courte », en faisant référence à la famille, à la religion, aux corporations, conception découlant du rôle qu’ils attribuaient à l’État dans l’esprit de leurs philosophies politiques : dans Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité entre les hommes (1755), on devine bien que Jean-Jacques Rousseau fera du contrat social (Du contrat social, 1762) un artifice politique de recréation des conditions égalitaires qui existaient dans l’état de nature, bien moins dégradé que l’état social où ne peut s’exprimer spontanément la solidarité humaine. De même, Thomas Hobbes, dans Le Léviathan, rappelle que selon lui l’état social est la seule possibilité de dépassement de la « guerre de tous contre tous » et est loin d’être le cadre d’expression d’une solidarité par nature et John Locke, dans Du gouvernement civil, exprime l’idée individualiste que l’État n’advient que pour améliorer la protection de ce qui en revanche lui paraît bien plus naturel que l’état de solidarité entre les hommes : la sûreté et la propriété. Mais à ces théories vieilles de deux siècles et demi répond de nos jours la globalisation d’un espace qui se mondialise depuis une quinzaine d’années environ et joue comme un impressionnant révélateur moderne de l’irréductible interdépendance des Hommes. À cet égard, rappelons que le terme de solidarité est apparu au XVIIIe siècle sous la plume de Diderot et d’Alembert, puisque l’Encyclopédie le définit dans le cadre exclusif du droit du commerce, comme la « qualité d’une obligation où plusieurs débiteurs s’engagent à payer une somme qu’ils empruntent ou qu’ils doivent » ; être solidaire n’est donc rien d’autre – originellement – que s’attacher à autrui par dette, et c’est d’une certaine façon cette acception faible que fait resurgir le phénomène de la mondialisation : si c’était autrefois à l’échelle du village que les habitants étaient solidaires, c’est aujourd’hui au niveau du « village planétaire » – que MacLuhan est le premier à évoquer il y a plus de trente ans, après que, dans Vers la paix perpétuelle, Kant eut parlé de « citoyens du monde »– que cette solidarité transparaît, comme indispensable à l’équilibre et à la survie du monde unipolaire qui a succédé à la bipolarisation de la Guerre Froide et nécessaire à la répartition du capitalisme pour lutter durablement contre les inégalités. Même avec le cynisme le plus caractérisé, personne ne peut plus aujourd’hui nier que, sans la solidarité qui attache la prise en compte d’impératifs sociaux et la préservation de l’environnement lato sensu aux exigences de performance économique d’un capitalisme qui soutient le développement du monde, celui-ci n’est naturellement ni équitable, ni viable, ni vivable, ni la synthèse de ces trois notions : durable. À défaut de convaincre chacun d’entre nous de l’existence d’une solidarité naturelle, l’on peut donc arguer de ce qu’elle est au moins rationnelle : une solidarité « de marché » qui mutualise les aléas et qui sera d’ailleurs à l’origine des sociétés d’assurance mutuelle et à l’avant-garde de la reconnaissance de droits fondamentaux, dont la conception rigide de la solidarité obligatoire qui lui a succédé dans nos sociétés contemporaines a tendance à s’affranchir. C’est là d’ailleurs le sens de la remarque que fait dès 1903 Vilfredo Pareto : « À notre époque, il faut être solidaire. Il y a une rage vraiment comique d’user de ce terme ».

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29 décembre 2015 2 29 /12 /décembre /2015 16:38

La liberté n’est pas la facilité.

Jamais sans doute, des hommes n’ont été aussi libres que ceux qui vivent aujourd’hui dans les pays riches. Que l’on songe, pour s’en convaincre, aux longues journées de travail des paysans ou des ouvriers du début du 19ème siècle. Harassés par le labeur physique, ils ne pouvaient guère que se reposer à la fin de chaque journée pour reprendre le travail le lendemain.

La vision bucolique du passé n’est que chimère pour écologiste naïf. Notre liberté repose ainsi sur un temps de travail global faible, 35 à 50 heures par semaine pour la grande majorité, jours fériés, congés payés, retraite, et sur des opportunités multiples, spectacles, lecture, sport, promenades, télévision, internet, voyages pour ceux qui en ont les moyens, etc. Pourtant, les hommes de ce temps doutent plus que jamais de l’avenir.

Certains, en France, évoquent un climat pré-révolutionnaire comparable à celui de la fin de 18ème siècle. Voire.

Non, la liberté n’est pas la facilité.

L’homme n’est jamais aussi libre que lorsqu’il est suspendu entre deux époques de l’histoire. Lorsque les dieux sont morts et que les tyrans ne règnent plus, de courtes périodes apparaissent où presque tout est possible. Mais le besoin de croire aux dieux ou aux hommes providentiels manque à beaucoup.

La liberté leur pèse, la sécurité de la servitude les attire.

Le poids actuel de l’incertitude quant à l’avenir résulte de la perception d’un choix imminent : dans les prochaines décennies les hommes assumeront-ils leur liberté ou prendront-ils « la route se la servitudes « ? Sur le court terme historique, rien n’est prévisible. L’incertitude est presque complète : politique, économique, sociale, scientifique, technologique. Il suffit pour s’en convaincre de faire une petite expérience rétroactive : se placer par l’esprit dans la situation d’un patricien romain du 1er siècle avant J.-C qui réfléchit à l’avenir. Il ne peut envisager ni le christianisme, ni même l’Empire du 2ème siècle. A fortiori, le monde divisé en États-nations d’aujourd’hui, le micro-ordinateur, internet, le big bang ne sont même pas imaginables.

Mais si la réflexion se déplace à un niveau de généralité suffisant, le caractère aléatoire du devenir historique n’existe plus. Ainsi, depuis que notre monde, à nous humains, est monde, c’est la puissance de notre intelligence collective qui le gouverne. La rationalité, la passion de chercher et de comprendre ont toujours, sur le long terme historique, balayé l’obscurantisme.

La vie que nous menons aujourd’hui est le fruit des recherches de nos ancêtres, depuis le principe d’Archimède jusqu’à la découverte des micro-organismes par Pasteur.

Ce corpus cognitif constitue le bagage que nous nous transmettons de génération en génération et tant qu’il y aura des hommes, cette longue chaîne ne se rompra pas.

En définitive, les hommes libres ont toujours vaincu les tyrans et les oppresseurs.

Le carcan législatif et réglementaire et la lourde et coûteuse machine étatique caractéristiques des États contemporains ne constituent pas la fin de l’histoire.

Si l’État se fait encore plus pesant et plus avide de tout réglementer et de tout contrôler, il peut à nouveau pour quelques décennies ou quelques siècles instaurer la « douce tyrannie » que craignait Alexis de Tocqueville.

Mais il n’abolira pas notre goût de la liberté, notre soif de connaître et d’entreprendre.

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1 novembre 2015 7 01 /11 /novembre /2015 15:43

Nous devons aimer la liberté pour elle-même, indépendamment de ce qu’elle apporte concrètement. Développement libre d’une citation de Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle-même est fait pour servir. »


Le plus souvent, pour mettre en valeur le libéralisme, nous vantons les mérites de la liberté : grâce au libre-échange notre économie prospère davantage que dans un système protectionniste ; grâce à la liberté d’expression, les savants peuvent débattre sans censure et chacun peut élaborer sa propre opinion sur chaque sujet ; grâce à la liberté des mœurs, nous pouvons vivre comme nous l’entendons, sans nous soumettre servilement aux règles étroites de la tradition. Tous ces arguments sont bons et méritent d’être rappelés ; mais la citation de Tocqueville nous rappelle une autre exigence fondamentale : avant même de subordonner la liberté à ses conséquences bénéfiques, et d’en faire un moyen comme un autre pour parvenir au bonheur, nous devons aimer la liberté pour elle-même, indépendamment de ce qu’elle apporte concrètement.

Ainsi, plutôt que d’énumérer la longue liste des avantages qu’apporte la liberté, nous pouvons décrire notre amour pour elle et faire sentir l’intensité du sentiment qui nous pousse à la chercher, au point d’en faire le but même de notre existence. Une telle description de la liberté souffre forcément de son abstraction ; concept large, la liberté, tant qu’on ne la conjugue pas dans la variété de ses expressions et qu’on ne l’analyse pas dans une situation historique donnée, est avant tout une valeur et un sentiment ; elle ne mérite pas moins toute notre attention, nos pensées s’attachant quelquefois davantage à des valeurs qu’à des objets concrets.

La liberté, considérée en elle-même, c’est l’ivresse de savoir que nous pouvons déterminer nous-mêmes nos actions, notre manière de vivre, sans devoir nous justifier devant personne ; c’est le sentiment que notre avenir est ouvert, que nous ne nous mouvons point dans un système clos déterminé à l’avance, et que plus tard, nous pourrons, en fonction de nos instincts, de nos goûts, de nos croyances, prendre des choix sans craindre de subir une interdiction ou une limitation artificielle de nos possibilités. Peu importe que le libre arbitre, défini par la capacité d’un être à s’émanciper de ses déterminations ou à faire naître de lui-même une nouvelle chaîne causale, soit au fond une vieille illusion décriée déjà par Spinoza ou Schopenhauer et dont les analyses sont confirmées par les résultats de la psychologie expérimentale. La liberté entendue dans son sens politique, si elle nous est donnée, nous donne la joie inlassable de pouvoir accomplir notre volonté, que celle-ci soit déterminée par autre chose que nous-même ou pas. Quand nous vivons dans le règne de la liberté, nous sentons que si nous avons envie de faire telle ou telle action seules nos limitations personnelles et les inviolables lois du réel pourrons nous faire échouer et nous faire abandonner notre projet ; et il vaudra toujours mieux que ce soit le monde qui nous contraigne plutôt qu’une mauvaise organisation humaine qui se targue d’une légitimité contestable.

La liberté ne promet pas la satisfaction automatique de toutes nos aspirations ; libres, nous pouvons échouer, nous tromper, errer en pensée dans tellement de possibilités que leur contemplation nous donne un désagréable sentiment de malaise ou de désespoir. Mais là n’est pas la question. La liberté n’assure pas le bonheur, elle offre la possibilité de suivre nos valeurs, de tenter de réaliser nos plus ambitieux projets ; ce n’est pas la réussite qu’elle promet, mais la possibilité de l’action : réussite ou échec, ce qui nous importe, c’est que cette action est le fruit de la liberté, non de la contrainte. Tous les hommes seraient des libéraux enthousiastes si la liberté avait le pouvoir magique de prodiguer à chacun la béatitude ; mais la liberté se contente de nous donner un espace pour conquérir notre bonheur, et de laisser toutes les portes ouvertes pour que chacun puisse emprunter le chemin qu’il souhaite. Qu’il est plus facile de promettre le bonheur universel en promettant l’institution d’une société parfaitement ordonnée par des législateurs plein de bonnes intentions prétendant assurer la satisfaction de tous ! La liberté n’est pas aussi ambitieuse ; et cependant elle nous donne le plus essentiel, ce que pourtant tout le monde ne peut pas savourer : le sentiment que notre destin est entre nos mains, et que nos réussites comme nos échecs dépendent de nous-mêmes. Et si un régime étatiste nous permettait par miracle d’accéder à la satisfaction de tous nos désirs, nous n’en voudrions même pas ; plus que la satisfaction capricieuse de nos envies nous tient à cœur le sentiment que nous sommes la source de nos contentements.

Si vous ne ressentez pas cette ivresse joyeuse, cette fierté de soi, jusque dans les erreurs assumées et la peur face à l’immensité des possibles ; si vous rêvez d’une société parfaite vous livrant automatiquement et sans effort de votre part tout ce qu’un homme peut souhaiter ; et si vous n’avez pas le désir de tout faire pour répandre chez chacun le droit d’affronter le monde comme il l’entend – alors vous ne pouvez comprendre ce dont parle Tocqueville, cet inconditionnel amour de la liberté pour elle-même.

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6 octobre 2015 2 06 /10 /octobre /2015 09:09

Le lecteur me pardonnera, je l’espère, de commencer cette chronique à la première personne plutôt que par un « on » majestueux et abstrait. En vérité, derrière le « on » ou le « nous », c’est toujours le « je » qui se cache : « je », malgré les apparences, est plus modeste que « on » ou « nous ». Il se trouve donc que j’ai été récemment interpellé par des lecteurs pour avoir pris des positions qui ne sont pas traditionnellement de droite, par exemple pour avoir houspillé le Pape, ou pour m’être prononcé en faveur de l’accueil sans réserve des immigrants du Proche-Orient, musulmans pour la plupart, ou pour ne pas m’être dressé contre le mariage homosexuel.

Eh bien, il me paraît que ces prises de position toutes personnelles sont cohérentes avec ce que l’on nomme d’ordinaire le libéralisme, une philosophie plus qu’une doctrine partisane et dont le nom apparut pour la première fois à la fin du dix-neuvième siècle, en Espagne : libéralisme, on le sait peu, est un vocable d’origine espagnole, avant de passer dans les langues française et anglaise. Cette philosophie libérale, à laquelle je me suis toujours identifié, est difficile à classer sur l’éventail partisan ordinaire qui va de droite à gauche. Au risque de surprendre, je classerai tout de même le libéralisme à gauche, là où il naquit originellement, parce qu’en opposition aux monarchies absolues, aux despotismes éclairés ou pas, et aux alliances malsaines entre l’État et l’Église. Le libéralisme, on va tenter de le justifier, est de gauche, parce que la gauche, depuis bien longtemps, n’est plus à gauche mais qu’elle est devenue un conservatisme ossifié.

Le libéralisme est évidemment de gauche et l’a toujours été, à condition que l’on s’entende sur le sens des mots plutôt que de se balancer des slogans à la figure. Le libéralisme tout d’abord : ce n’est pas une idéologie, ni un modèle déposé, ni une utopie née de l’imaginaire intellectuel mais une méthode expérimentale fondée sur l’observation du réel, au service d’une ambition. Cette ambition (et conviction) est qu’il est possible de vivre civilement en société, bien que nous soyons tous différents et que, dans cette société perfectible, chacun devrait pouvoir s’épanouir au mieux de ses capacités et de ses goûts en disposant du plus vaste choix possible, qu’il s’agisse de sa vie publique ou privée. Parvenir à cette liberté de choix exige une réflexion sur les institutions. Être libéral n’exige pas du tout de se dresser contre l’État mais de se montrer exigeant contre ses dérives bureaucratiques, voire totalitaires. Ceci explique que, de tradition, les libéraux sont favorables à la démocratie locale, parce qu’elle s’exerce sous le contrôle rapproché des citoyens ; l’État central inquiète quand il devient opaque, voire menaçant. État nécessaire donc, mais qu’il convient de surveiller pour que chacun prospère. Prospérité privée et publique : les libéraux intransigeants, qui ne sont jamais un parti politique, mais une fédération d’activistes francs-tireurs, sont favorables au libre choix de leur conjoint, homosexuel ou pas (je me demande même pourquoi l’État se mêle du mariage), de leur consommation de substances illicites ou pas, et de migrer quels qu’en soient les motifs. En économie, à quoi ses adversaires tentent de réduire le libéralisme, nous sommes favorables à l’économie de marché quand elle permet aux entrepreneurs d’innover et d’élargir la liberté de choix. Nous sommes contre le capitalisme s’il consacre le règne des monopoles, publics ou privés.

Le libéralisme, ainsi défini, est-il bien de gauche ? Oui, si l’on considère qu’être de gauche est un pari sur la perfectibilité de la société et l’acceptation de sa diversité : les libéraux sont sans conteste des progressistes. Mais quand la gauche devient le placage forcé d’une idée, totalitaire, le marxisme par exemple, sur la société qui n’en veut pas, le libéralisme n’est pas de gauche. Si la gauche est une posture prétentieuse qui rejette comme ennemis de classe tous ceux qui n’adhèrent pas à l’Idée et au pouvoir du moment, le libéralisme n’est pas de gauche.

Quand la gauche n’est plus capable d’autocritique, le libéralisme dont l’autocritique est l’essence, n’est plus de gauche. Le libéralisme est de gauche quand la gauche est à gauche, c’est-à-dire progressiste mais non doctrinaire, et modeste. Le libéralisme est modeste ou il n’est pas. À aucun moment, les libéraux n’envisagent de connaître par avance la solution ultime à tous les défis de la société et du monde : leur démarche reste toujours expérimentale.

Au total, la confusion politique et idéologique qui règne actuellement en Europe et qui favorise la renaissance des utopies les plus archaïques, comme le tribalisme (catalan, écossais, hongrois) et le quasi-fascisme (Front national en France, Ligue du Nord en Italie, Jobbik en Hongrie…), provient en grande partie de la confusion des étiquettes : les électeurs devraient avoir le choix, clair, entre des politiques libérales et progressistes et des politiques conservatrices et bureaucratiques. Mais, horrible malentendu, la gauche socialiste, qui est réactionnaire, passe pour progressiste et parvient à faire passer les libéraux pour des passéistes. On comprend que l’électeur en reste confondu. Peut-être les libéraux sont-ils coupables de ne pas savoir mieux s’expliquer et de laisser la pseudo-gauche s’approprier scandaleusement l’idée même de progrès.

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1 octobre 2015 4 01 /10 /octobre /2015 07:01

Bon, c’est la reprise, c’est clair, c’est évident, Michel Sapin l’a dit (donc c’est vrai, il paraît), et même si Christine Lagarde est obligée de tempérer quelque peu l’optimisme débordant du gouvernement en admettant que si « nous sommes dans un processus de reprise », apparemment, son « rythme décélère », il n’en reste pas moins que les lendemains vont bientôt chanter, foi de Hollande.

Où disons, siffloter. In petto.

Toutefois, il apparaît que tout ne se déroule pas exactement comme prévu. Depuis quelques temps en effet, on note des petits soucis de trésorerie au sein des entreprises françaises. On apprenait ainsi, au début de l’année, que les délais de paiement que s’octroyaient certaines entreprises au détriment de leurs fournisseurs constituaient une raison fréquente de la faillite de ces derniers (pouvant expliquer jusqu’à un quart de ces faillites), à tel point qu’une médiation inter-entreprises avait été mise en place il y a cinq ans, et que cette dernière en a profité pour créer cette année un indicateur des retards de paiement.

Outre les cas dramatiques où les entreprises, ne recevant pas leurs dus à temps, finissent par calancher, le problème des délais de paiement est assez aigu dans le pays qui se classe maintenant comme championne en Europe (pour une fois) dans cette douloureuse catégorie. Au total, ce sont 10 à 13 milliards d’euros qui manquent aux trésoreries des entreprises pour réduire ces retards et les ramener aux délais légaux (45 à 60 jours selon les cas).

Devant ce constat, on n’avait pas non plus été très surpris de voir les efforts plus ou moins soutenus de Bercy (et plus exactement la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, la célèbre DGCCRF) pour combattre ces délais de paiement, en multipliant joyeusement les contrôles : eh oui, mes petits amis, il faut bien comprendre que si l’une ou l’autre entreprise a des problèmes de trésorerie et qu’elle ploie déjà sous une imposante paperasserie et des douzaines de cerfas rigolos et colorés à remplir pour bien rentrer dans les clous d’une législation foisonnante, alors la solution trouvée par notre équipe ministérielle consiste à leur tomber dessus en rajoutant dans le mix l’un ou l’autre inspecteur, une bonne louchée de contrôle et, à la fin, une solide amende. Parce que rien ne sent plus l’aide aux entreprises qu’une bonne grosse amende des familles.

En mars, c’était donc décidé, Bercy allait lancer une offensive sérieuse et courageuse contre les méchants délais. Encore une fois, du chaton libéral fut consciencieusement pilé pour favoriser les forces spirituelles et les coups de pieds occultes, et, plus pragmatiquement, Bercy lança une batterie de mesures accompagnées d’un décret sur « la transparence des délais de paiement » dont la sortie, attendue, était prévue au courant de l’été, et qui demandera aux entreprises, outre le fait de passer aux factures électroniques, d’inclure dans leur rapport de gestion des données relatives aux délais de paiement.

Bien évidemment, nous sommes en France et le décret a donc pris un peu de retard, mais ne devrait plus guère tarder. Au point que Le Figaro évoque le lancement d’une vague de contrôles ciblés, alors que la seconde édition de l’indicateur vient de paraître … et qu’il n’est pas bon du tout : selon les chiffres, les délais de paiement sont au plus haut depuis dix ans.

Zut et flûte, si reprise il y a (dixit Lagarde), si la tendance est là (dixit Sapin), si on sent bien que ça frémit (dixit Macron), côté paiements, … ça ne rentre pas. Les particuliers, par exemple, continuent de demander des délais à Bercy, et si c’est vrai pour les particuliers, ça l’est encore plus pour les entreprises.

Or, dans ces entreprises, comment ne pas se rappeler que l’une des plus grosses, c’est l’administration de l’État ou des collectivités territoriales. Dans un article du Monde consacré à la question, on ne peut s’empêcher de noter la citation d’un fournisseur, confronté à la mauvaise grâce avec laquelle une mairie s’acquitte de son dû :

« Nous avons un marché avec une ville de l’Est. Fin avril, ma facture datée du 21 janvier n’avait toujours pas été payée. (…) l’architecte avait transmis ma facture avec un retard de 45 jours. S’y est ajouté celui de la ville. Nous dépendons des cabinets d’architecture ainsi que des services comptables des collectivités qui inventent constamment de nouvelles règles… »

Roooh. L’État, si mauvais payeur ? Les collectivités territoriales, âpres au paiement ? Les organismes sociaux, débordés et complètement à la ramasse dès qu’il s’agit de payer, au point que certains jeunes retraités ne touchent rien pendant des mois ? Allons. Tout le monde sait que c’est une grosse exagération. Et tout le monde sait (à commencer par le gouvernement) qu’avec quelques bonnes petites amendes, tout va bien vite rentrer dans l’ordre.

Non ?

Bref, on peut tortiller les choses comme on veut, mais il apparaît bien deux choses distinctes qui vont dans le même sens.

La première, c’est que les délais de paiement des entreprises et des particuliers continuent de s’agrandir. Ceci n’a jamais été un signe de bonne santé économique ; bien sûr, on peut mettre cet allongement en partie sur le dos de la superbe simplification administrative qui a frappé la France de plein fouet depuis que le gouvernement s’est emparé de cette tâche, mais on ne peut pas évacuer que la plupart des contribuables et des entreprises sont honnêtes (en dépit des incitations toujours plus nombreuses à prendre le maquis), et que s’ils sont de plus en plus nombreux à demander des délais les uns aux autres et, ultimement, à Bercy, c’est peut-être que leurs affaires ne vont pas trop bien. La reprise semble un peu illusoire…

La seconde, c’est que les délais de paiement augmentent pour tout le monde, et donc par voie de conséquence, pour Bercy lui-même, et que cette situation permet d’illustrer exactement ce que « monopole de la force » veut dire. Parce qu’une chose est limpide : quelles que soient vos capacités, là où une négociation est toujours possible avec vos créanciers, il n’en ira jamais de même avec Bercy qui pourra toujours utiliser l’argument ultime, celui de la force, pour vous extorquer ce qu’il jugera être son dû.

Et s’il le faut, il fera modifier la loi pour ça.

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21 septembre 2015 1 21 /09 /septembre /2015 20:50

Émile Zola, que l’on ne peut soupçonner de sympathie libérale, interviewé par un journaliste du New York Herald Tribune le 20 avril 1890, observé :

« …Je suis en train de travailler à un roman, L’Argent, qui traitera des questions concernant le capital, le travail, etc., qui sont agitées en ce moment par les classes mécontentes. Je prendrai comme position que la spéculation est une bonne chose, sans laquelle les grandes industries du monde s’éteindraient, tout comme la population s’éteindrait sans la passion sexuelle…

…Aujourd’hui les grognements et grommellements émanant des centres socialistes sont le prélude à une éruption qui modifiera plus ou moins les conditions sociales…

Les hommes sont-ils en quoi que ce soit en réalité plus égaux qu’ils ne l’étaient il y a cent ans ? Pouvez-vous donner à un homme la garantie que sa femme ne le trompera jamais ? Pouvez-vous rendre tous les hommes également heureux ou également avisés ? Non ! Alors arrêtez de parler de l’égalité !

La liberté, oui ; la fraternité, oui ; mais l’égalité, jamais !"

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14 septembre 2015 1 14 /09 /septembre /2015 12:43

«Tu ne le reverras plus ! » C’est en ces termes peu amènes que, souvenons nous, Hollande avait ironisé en s’adressant à un garçonnet qui l’interrogeait sur le devenir de son prédécesseur lors d’une visite au salon de l’agriculture.

Mais les temps changent et Hollande n’a pas la chance de ce jeune citoyen : il doit voir constamment Sarkozy le harceler dans ses cauchemars. Lancé dans une tentative désespérée pour reconquérir les quelques points de popularité qui pourraient lui éviter une pulvérisation politique humiliante, Hollande touche le fond : il en vient même à dire qu’il a eu tort de détricoter le projet de TVA sociale. Après la lepénisation de la droite, voilà venir le temps de la sarkozisation assumée du PS.

Ce qu’il ne faut pas faire pour changer d’image !

La névrose quasi obsessionnelle qui conduit Hollande à se comparer constamment à l’autre se fixe pour l’heure sur des détails fiscaux. Ce sujet n’était pourtant pas essentiel. Hollande a préféré cibler les hauts revenus qui votent moins pour lui plutôt que de répartir par la TVA les prélèvements sur l’ensemble de la population.

Mais tous deux étaient partisans d’une hausse des impôts.

Pour ce qui est de la baisse des dépenses publiques, l’analyse froide des chiffres montre que, l’un comme l’autre, n’ont guère enrayé leur progression et ce à un rythme à peu près identique. En 2009, deux ans après l’élection de Sarkozy, les charges nettes du budget de l’État s’élevaient à 292 milliards d’euros. En 2014, deux ans après celle de Hollande, elles s’élevaient à 309 milliards.

Sur la question majeure de l’euro, ils étaient également d’accord et le sont toujours. Dans son entretien avec une journaliste du Monde qui tente de le faire passer pour un néophyte plus que pour un cynique, Hollande vend le morceau : « J’ai accepté le traité pour situer la France au coeur de l’Europe et non en marge… Qu’est-ce qu’un affrontement (avec Merkel) aurait changé ? Je n’aurais obtenu aucun gain sur le plan budgétaire, j’aurais créé une déstabilisation dans la zone euro, j’aurais suscité une marginalisation de la France. »

C’est bien ici que le bât blesse de la même manière les dos de Hollande et Sarkozy : l’incapacité à assumer une stratégie de rupture avec le fonctionnement actuel de l’euro. La monnaie unique permet certes de pouvoir endetter l’État à bon compte. Mais elle entrave les efforts de redressement en les rendant plus douloureux dans un contexte persistant de surévaluation du taux de change.

Bref, Hollande veut continuer à faire de Sarkozy son meilleur ennemi, espérant que leurs images respectives se brouillent à force de se superposer.

Ce n’est certes pas la clarté que nos temps incertains requièrent.

L’enfumage continue.

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